Le Carême est le temps des retrouvailles et du désengorgement… Mercredi des cendres Le 6 mars 2019 (année C)

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Le Carême est le temps des retrouvailles et du désengorgement…
Mercredi des cendres
Le 6 mars 2019 (année C)

Lectures :
Jl 2,12-18 : Revenez à moi de tout votre cœur…
2 Cor 5,20-6,2 : Laissez-vous réconcilier avec Dieu
Mt 6,1-6. 16-18 : L’aumône, la prière et le jeûne comme Dieu les aime

Avez-vous un jour gonflé un ballon ?
Un ballon banal, très ordinaire, tel que nous en trouvons dans les magasins spécialisés dans la fête. Ils sont de couleurs différentes, de tailles et de formes variées et bien distinctes.
Alors, si vous avez gonflé un de ces ballons, vous avez pu observer plusieurs phases :

Tout d’abord, le ballon ne rassemble à rien, plié à plat dans une boîte : rien de très attirant… Grâce à vos quelques bouffées d’air, il gagne la forme voulue…
Parfois, pour nous amuser plus, nous soufflons encore et encore, plus qu’il ne faudrait, et le même ballon perd sa forme, devient très gros, difforme, et la matière en quoi il est fait se désintègre…. jusqu’à : paf !!!
Et le ballon, si joli il y a un instant, n’est plus…. Il s’éparpille en morceaux… Il ne ressemble plus à rien, il ne nous amuse plus…

En méditant cette année sur le Carême, cette image de ballon m’est venue à l’esprit. Car le Carême est le temps qui protège l’homme de lui-même : de l’éclatement et de la désintégration de ce qu’il y a de meilleur en lui.
Le Carême, appelant à la modération, nous amène vers l’essentiel de notre existence et nous donne les moyens concrets de retrouver la juste forme de notre être aux yeux de Dieu.
Parce que souvent, trop souvent, l’homme est comme ce ballon trop gonflé… Il a tout en surabondance… et pourtant, il lui en manque toujours : jamais satisfait, nul moment de satiété… Toujours plus, toujours plus…

L’homme, comme autrefois Ulysse, est séduit par le chant des sirènes des multiples publicités…, mais contrairement à lui, il n’y résiste pas… Il semblerait que l’homme contemporain ait oublié des mots comme : Stop, ça suffit, je n’en ai pas besoin !

Regardons-nous nous-même, tout simplement, en vérité : Combien de choses avons-nous à la maison, achetées pour nous servir et puis…, et puis elles servent une fois, deux fois, ou pas du tout…. ?
N’est-il pas vrai que nous manquons de place dans nos garages ? Tant de choses encombrent ainsi nos maisons et notre vie quotidienne… Cependant, il ne s’agit pas que d’objets matériels.
L’homme est saturé de tas d’autres « bidules ». Il est repu de ses propres certitudes et de son autosuffisance… « moi, moi, toujours moi… »
Il regorge d’envies malsaines, de convoitises nuisibles, d’ambitions pernicieuses… L’homme est friand du regard des autres… le voyeurisme, les realityshow, les stars qui mettent sur le marché télévisé leur vie de couple, souvent la plus intime : « combien de fois et comment ? »
Il y a de quoi faire se dresser les cheveux…, il y a bien des raisons pour déchirer nos vêtements…

Cependant, il ne suffit pas d’être scandalisé par le mal qui nous entoure… Le simple fait d’être scandalisé ne guérit pas les blessures, ne s’oppose pas au mal… On le pointe, certes, mais il faut aller plus loin… Il est donc urgent d’avancer au large pour tirer l’homme du récif.

Aujourd’hui, le Christ, parlant de l’aumône, du jeûne et de la prière, nous offre de nouvelles perspectives. Il désire que nous approfondissions notre manière de vivre et de voir le monde, l’homme… et nous-même :

Si vous voulez vivre comme des justes, évitez d’agir devant les hommes pour vous faire remarquer.

Le mot « juste » n’est pas lié ici à la notion de justice – faculté à discerner ce qui respecte ou non la loi en vigueur. Dans la bouche du Christ, le mot « juste » renferme la vérité de et sur soi-même.
Être « juste » – c’est-à-dire : éclairer toutes les zones d’ombre en nous – n’est pas une mince affaire…
Il est bien plus facile pour l’homme de créer entre lui et les autres un écran de fumée. Enfin, il n’est pas trop difficile de simuler pour nous montrer toujours du bon coté…
Nous connaissons tous ces petits « bobards et salades » qui nous arrangent et qui nous aident à entretenir un bon look vis-à-vis de notre prochain…

Le Christ, au début du Carême, appelle à la vérité, comme autrefois le prophète Joël : Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, débarrassez-vous des fausses représentations de vous-mêmes, découvrez-vous vous-même en vous laissant réconcilier avec Dieu…
Oui, Lui, notre Père qui est aux cieux, sait depuis toujours ce que nous sommes. Il nous connaît. Devant lui, nous sommes nous – même, sans retouches ni maquillage. Nous sommes d’ores et déjà ses enfants bienaimés ! 1

Il y a quelques jours à peine, une personne a voulu me convaincre que le Carême n’a pas bonne presse. Selon elle, il est ressenti comme une période triste, morne et de surcroît culpabilisant….
J’en ai été fortement étonné car, en lisant les textes bibliques qui ouvrent aujourd’hui le Carême, on constate qu’ils soulignent bien le contraire : ils parlent de la joie et d’une aura majestueuse.

Joël écrit : Sonnez de la trompette dans Jérusalem ,  annoncez une solennité, prescrivez un jeûne sacré, tenez une assemblé sainte.

L’apôtre Paul ajoute : C’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut…

L’Évangile conclut : ne prenez pas un air abattu, ne vous composez pas une mine défaite, parfumez plutôt votre tête, lavez- vous le visage…

Si ces textes du début du Carême appellent à jeûner, à prier et à faire l’aumône, ce n’est pas pour organiser une mise en scène, une sorte d’une tragédie en trois actes…
Ils nous donnent simplement les moyens de nous retrouver nous-mêmes face aux aléas du quotidien déboussolé, et perdus dans la forêt de choses secondaires et souvent superflues…

Le Carême est, en fin de compte, le temps des retrouvailles – le temps qui me donne la chance de répondre à la question : où en suis-je vraiment avec moi-même, avec ma foi, avec l’amour que je porte à mes proches, avec mon attention envers mon prochain ?

Simplement, en me retrouvant moi-même, en retrouvant mon « moi profond », je peux entrer en dialogue personnel avec Dieu et saisir pourquoi Il a envoyé son Fils Unique pour mon salut….

Le Carême est aussi le temps du dégonflement, du désengorgement, c’est-à-dire de l’évacuation de tout ce qui alourdit mon humanité et défigure l’image de Dieu – afin que le mystère de Pâques me transfigure en homme nouveau, en homme pardonné, en homme ressuscité, bref : en homme debout !
Amen

 

1 Jean 3.1-2 « Voyez quel amour le Père nous a témoigné, pour que nous soyons appelés enfants de Dieu! Et nous le sommes. Si le monde ne nous connaît pas, c’est qu’il ne l’a pas connu. Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté; mais nous savons que, lorsque cela sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. »