Homélie : L’homme a tendance à suivre les opinions majoritaires Dimanche des Rameaux, année C, le 14 avril 2019

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse st Pierre et t Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

L’homme a tendance à suivre les opinions majoritaires
Dimanche des Rameaux, année C,
le 14 avril 2019

Lectures :
Is 50,4-7 : Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé.
Ph 2,6-11 : Il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir…
Lc 22,14-23,56 : la passion de notre Seigneur Jésus Christ

La première chose qui saute aux yeux au cours de la liturgie du Dimanche des Rameaux, c’est sa répartition en deux parties bien différentes dans leur tonalité.
La première, a priori célébrée dehors, les palmes à la main et un chant joyeux aux lèvres…
La deuxième, à l’intérieur, où l’ambiance s’épaissit, devient grave même, lors de la lecture de la passion…
Tout à l’heure, on acclamait « Hosanna, Hosanna, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ».., et juste après, on hurlait « crucifie-le, crucifie-le » !

Et c’est justement ce revirement brutal des gens qui nous heurte le plus. Nous en sommes vraiment scandalisés…
Nous ne comprenons pas comment il est possible de passer de l’admiration exaltée au rejet sans appel…
Nous ne comprenons pas, et pourtant, je vous le dis franchement, la situation narrée dans le texte de l’évangile en question n’est pas si exceptionnelle…
Elle se perpétue, hélas, jusqu’à nos jours : devant nos propres yeux la danse des cygnes autour d’une personne adulée massivement se transforme en danse macabre, la précipitant en enfer.

A titre d’exemple j’évoquerai ainsi quelques affaires récentes, des plus emblématiques et largement médiatisées….
Par exemple l’affaire Cahuzac, où le ministre délégué au Budget ignorait qu’il possédait des comptes non déclarés au fisc français…
L’affaire Strauss-Kahn, directeur général du fond monétaire international (FMI), donné favori pour l’élection présidentielle de 2012…
L’affaire Benalla, en cours, de l’éminence grise de la protection du président actuel de la République, aux pouvoirs nébuleux…

Et l’affaire de notre évêque le cardinal Barbarin, chouchou des médias, un homme à la parole libre, papable au dernier conclave…
Et j’en passe….

Pourtant – convenez-en, mes frères bienaimés – il a suffi qu’autour des personnes citées l’atmosphère devienne pesante, que les soupçons s’accumulent, que les accusations plus au moins fondées jaillissent, qu’elles se retrouvent dans le collimateur de l’appareil de la justice…
Attention ! Simple constat, car je ne me prononce pas sur le fond de ces affaires, il n’est pas mon sujet…
Ainsi, lorsque la splendeur d’étoile de nos protagonistes commença à se ternir, les médias jusque-là affables et complaisants se comportèrent comme de véritables charognards qui, l’ayant saisie, ne lâchent plus leur proie.
Alors à quoi avons-nous assisté ?

Eh oui, eh oui… à de magnifiques voltefaces !!!!
Leurs meilleurs camarades, amis, confidents, protecteurs ou protégés, sans souvent aucune vergogne, clamèrent curieusement devant les caméras :

Nous ne le connaissons pas… nous ne savions rien…
Nous avons honte de ce que ces personnes-là ont fait
ou de ce qu’on suppose qu’ils aient fait…

L’ostracisme allait si loin que les camarades autrefois d’un même parti, en apprenant que l’accusé se trouvait à l’anniversaire d’un ami commun, sortaient de la fête…
La panique de ne pas être mêlés auxdites affaires poussaient des gens jusque-là silencieux, dociles collaborateurs et bénéficiaires du système à devenir lanceurs d’alarmes…, les démissions se multipliaient…, beaucoup voulaient se refaire une virginité, les cris d’indignation se levaient…, faisant tristement écho au « crucifie-le » braillé dans les rue de Jérusalem et à la conduite du représentant du pouvoir, un certain Pilate qui, malgré qu’il n’ait trouvé aucun motif sérieux de condamnation à mort, décida tout de même de livrer Jésus pour satisfaire la requête de la populace chauffée à blanc.
La voilà, la triste vérité : l’homme a tendance à suivre les opinions majoritaires….

Les raisons en sont multiples, dont, pour moi, la principale est la suivante : le conformisme.
Pourquoi prendre des risques pour une personne en disgrâce, en perte de popularité si l’on peut se fondre discrètement dans la masse anonyme pour voir dans quel sens la fortune tournera…
La masse des gens est rassurante…, la bande organisée dilue la responsabilité personnelle… l’histoire nous donne de multiples exemples d’adultes se justifiant comme des gamins : je ne savais rien…, je n’exécutais que les ordres…,  je n’étais pas du tout d’accord mais je n’avais pas le choix…
Bref, ce n’est pas moi le coupable, c’est l’autre !

Et pour que nous ne pensons pas que cette manière d’agir concerne seulement les élites, faisons un examen de conscience…, regardons un peu notre quotidien.
Combien de fois nous ne disons rien, délaissant le combat s’il faut s’opposer à ceux qui sont les mieux placés dans la hiérarchie sociale ?
A quoi bon ? – nous disons-nous pour tromper notre conscience… d’autant plus s’il y a des vacances à prendre ou une promotion…

Bien sûr, nous ne sommes pas satisfaits de beaucoup de choses mais nous ne voulons pas trop nous mouiller…
Par conséquent, le peuple, notre peuple, notre noble nation devient de plus en plus molle, telle une populace si bien décrite par les mots acides de Michel Onfray dans un dernier article intitulé : Paris brûle-t-il ?
Onfray, philosophe et essayiste français qui a aussi perdu beaucoup dans le monde du mainstream, parce qu’il ne dit plus ce qu’il faut dire et penser…
Alors, il écrit : La populace, c’est le peuple moins son cerveau, c’est la foule reptilienne, la masse acéphale, un corps sans tête, un Léviathan conduit par les instincts; elle est l’animal aux babines retroussées, aux crocs menaçants, aux griffes sorties; elle est faite d’hommes au cortex grillé – elle est aussi et surtout le meilleur ennemi du peuple [1].

Cependant, mes frères et sœurs bienaimés, vous n’êtes pas venus ici seulement pour entendre que l’Evangile qui raconte des évènements du passé nous enseigne aussi sur les faits d’aujourd’hui. Je pense que vous le saviez déjà : l’Évangile, c’est un livre de vie, donc universel par sa vocation.
Vous êtes venus aussi, je l’espère, pour apprendre comment combattre la versatilité, la duplicité, l’instabilité si répandus…
Comment devenir des hommes nouveaux, avec un vrai squelette moral, et non pas du chamallow !

Pour moi, il est nécessaire que nous regardions le Christ – le modèle d’un homme nouveau.
Regardez-le bien dans les textes que nous avons lus…
Il restait égal…
Ni la gloire, ni la déchéance venant de la foule ne l’ont changé, de même, d’ailleurs, que son projet.
Il savait que sa mission ne dépend ni du nombre de like’s sur Facebook ni de l’intensité et de la durée des applaudissements.
La vérité n’est pas la valeur à plébisciter.
Imaginez-vous quels résultats nous aurions pu obtenir si nous avions interrogé les personnes non-voyantes sur l’existence du soleil ou les criminels sur la nécessite de maintenir en place les prisons ?
Qu’on le veuille ou non, il y a des vérités objectives non négociables, dont celle pour laquelle le divin Fils s’est fait chair.
Pour le salut de chacun de nous, le Christ ne se laissait pas dévier de son chemin ni par la liesse des foules ni par leurs insultes.

Mes frères et sœurs bienaimés,
De ce dimanche des rameaux, que l’enseignement suivant vous reste :
Tenez-vous-en, toujours et partout, à ce qui est objectivement juste et bon.
Seulement ainsi nous pouvons espérer que notre monde et ses mœurs se relèveront.
Seulement ainsi nous pouvons espérer que sa résurrection aura lieu !

Amen

[1] In : https://www.les-crises.fr/paris-brule-t-il-par-michel-onfray/