Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierret St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon
Avec qui allons-nous à la pêche ?
3ème dimanche de Pâques, année C
le 5 mai 2019
Lectures :
Act 5,27b-32.40b-41 : Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes
Ap 5,11-14 : Moi, Jean, J’ai vu : et j’entendis la voix…
J 21,1-14 (lecture brève) : Je m’en vais à la pêche.
La pêche n’est pas mon loisir de prédilection, et cela ne date pas d’hier.
Une fois, de par la curiosité propre à tout enfant, je suis allé avec mon papa à la pêche, muni de tout le matériel nécessaire. Même pour moi, on avait trouvé une canne adaptée à ma taille… Je n’avais alors pas plus de 10 ans.
Ainsi, de bon matin, nous nous rendîmes au bord d’un fleuve pour prendre position et commencer la pêche.
Je ne me souviens pas de tous les détails, mais je suis certain d’être rentré frustré à la maison… Plusieurs heures passées dans le froid et l’humidité pour quelque menu fretin ne pouvaient me satisfaire. De surcroît, personnellement, je n’avais rien pris… Donc pas du tout content…
Ainsi, j’en fus vacciné à vie. Depuis, je n’y suis jamais retourné…
L’Évangile d’aujourd’hui nous en parle aussi, certes dans un contexte bien différent de mon expérience, les protagonistes du récit étant des professionnels, des gens du métier. Ils connaissaient le lac et les techniques pour réussir. Pour eux, la pêche n’était pas un temps de recréation mais une occupation vitale.
Elle leur permettait de gagner leur vie et de nourrir leurs familles.
D’où la déception de n’avoir rien pris pendant une nuit passée sur la barque, ce qui était beaucoup plus décevant que pour moi qui avais tenté de m’en amuser autrefois.
Alors, au lever du jour, les mines des apôtres n’étaient pas trop fières.
Il avait fallu que le Christ apparaisse sur le rivage pour que la donne soit changée.
Il a soufflé de l’espérance, dispensant un sage conseil, net, précis.
Eux, fatigués, peut-être déjà à moitié résignés, avaient quand-même fait un effort.
Et ils en avaient été récompensés… par le résultat obtenu.
Les filets ne pouvaient contenir l’énorme quantité de poissons. Ils se rompaient…
Puis les yeux des apôtres s’ouvrent…
Enfin ils reconnaissent leur maitre – Le Ressuscité !
La nuit blanche et la déception du travail infructueux passent aux oubliettes.
Elles ne comptent plus face à la présence du Christ et à un miracle manifeste.
Mes frères et sœurs bienaimés,
quoique la situation décrite par l’Évangile de ce dimanche soit bien éloignée des réalités de notre existence – puisque vivant dans la région lyonnaise, aux portes du Beaujolais – elle revêt néanmoins quelques traits universels qui méritent notre attention.
Regardez par exemple l’étendue du travail pastoral réalisé dans notre diocèse et ses différentes paroisses : nous serions bien injustes et ingrats si nous le disions médiocre et qu’il n’engage pas de gros moyens. Car les initiatives ne manquent pas… les idées encore moins.
Ceux qui viennent d’autres régions de France envient bien souvent la diversité et la richesse de nos propositions pastorales.
Cependant – et qui devrait nous interpeller -, l’espérance des chrétiens ne s’accroît pas tellement. On éprouve bien souvent la sensation que les catholiques galèrent, s’essoufflent, se découragent. Les statistiques qui mesurent la vitalité ecclésiale paraissent figées.
On a l’impression de subir une situation semblable à celle vécue par les apôtres après leur nuit stérile : on passe notre temps à repêcher des hommes… et les résultats sont bien piètres !
Épuisés, nous sommes en quête d’évènements qui refonderaient l’espérance et créeraient une nouvelle dynamique….
A mon humble avis, ce que nous vivons est dû à un défaut majeur dans tout ce que nous entreprenons avec tant de zèle et de détermination.
Il nous manque « du Christ » !
Certes, nous parlons de Lui, nous évoquons son nom, nous Le brandissons sur des étendards, mais, dans le fond, nous partons à la pêche d’hommes tout seuls, trop sûrs de nous et des talents issus de l’expérience de spécialistes en pastorale que nous sommes.
D’ailleurs, cela se repère jusqu’au langage que nous employons…
Autrefois, nous étions des disciples, des frères et sœurs dans la foi, des baptisés, des ministres sacrés, des catéchistes, des serviteurs les uns des autres, une semence nouvelle. Bref, des témoins et des apôtres !
A présent, dans la novlangue inventée par Georges Orwell dans son roman célébrissime 1984 et, influencé par l’univers des entreprises, nos diocèses, et par déclinaison souvent nos paroisses, utilisent des dénominations qui appauvrissent, sans le rechercher expressément, la mission de l’Église.
Alors, les diacres, les prêtres ou n’importe quels ministres du culte sont appelés à présent acteurs pastoraux… Les catéchistes ne sont plus catéchistes, ils sont LeMe – laïcs en mission ecclésiale, les chantres sont devenus animateurs de chants, la Sainte Messe un rassemblement dominical et le sacrement de réconciliation – autrefois dénommé confession – une simple rencontre avec le prêtre…
Comprenez-moi bien, mes frères, je ne mets pas en cause la modernisation du langage que nous utilisons au quotidien; je voudrais simplement souligner que, sans les explications nécessaires, ce langage change, en même temps et malheureusement, notre comportement.
L’instrument de salut qu’est l’Église devient un organisme – une structure administrative – où la première place n’est plus occupée par Dieu mais par ses fonctionnaires.
Si je suis acteur de la vie pastorale au lieu d’être pasteur de troupeaux, mon rapport avec vous forcement s’aplanit, il devient fonctionnel : ce n’est plus la vie que je vous donne, c’est mon temps, seulement…
Si je suis animateur de chants, je commence volontiers à penser que la messe est belle parce que je chante ou je joue bien de la musique…
Si je suis laïc en mission ecclésiale à plein temps, je risque d’en conclure que le travail pour le royaume de Dieu se limite à 35 heures par semaine…
Ainsi, nos communautés de foi, au lieu de transformer le monde et sa manière de fonctionner, se métamorphosent en associations de fidèles.
Et tout cela se fait avec une grande générosité.
O combien ces acteurs et animateurs pastoraux mettent-ils leur énergie au service commun ! Ils n’économisent pas leur temps, afin de faire marcher l’Église et de la faire vivre.
Toutefois, par cet activisme et ce remue-ménage pastoral, nous perdons l’essence même et le but de notre mission : le Christ.
Il est plus une marque de fabrique qu’une personne à rencontrer et à écouter.
Bref, bien souvent, nos communautés paroissiales, à force de s’humaniser, se dé-divinisent !
Je me souviens d’une discussion dans un groupe paroissial, je ne citerai pas lequel, où la question de parler du Christ se posait. Et l’une de personnes présentes, pourtant très généreusement active, a dit : Nous ne devrons pas parler de Jésus Christ… car cela fait fuir (sic !) les gens de l’Église.
Alors si nous, disciples du Christ, ne parlons pas de Lui, qui en parlera ?
Gardons tout de même un minimum de bon sens !
De même que l’ont fait Pierre et les apôtres qui, trainés devant le Conseil suprême des Juifs et le grand prêtre de Jérusalem, ont répondu lucidement :
Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
Nous sommes témoins du Christ que Dieu a ressuscité !
Voilà ce que nous devons faire, mes frères : au lieu de cacher notre trésor, le Christ, et camoufler notre foi en Lui, parlons-en ouvertement, avec bienveillance, pédagogie, patience et conviction.
A présent, nous assistons à la campagne pour les élections européennes.
Les politiciens de tout bord ne se gênent pas parfois pour raconter des salades et promettre la lune…
Je ne sais pas si eux même en sont persuadés, mais ils le font avec conviction !
Et c’est bien ce qui manque souvent à nos paroisses.
Au lieu d’être de vraies alternatives et lieux de ressourcement spirituel, elles se rabaissent trop souvent en une compétition avec un cercle des amis des cochons d’Inde ou un club de collectionneurs de bouchons de champagne.
Mes frères et sœurs bienaimés,
Les apôtres dont nous parle l’Évangile du jour n’ont rien pris… jusqu’au moment où ils se sont mis à écouter le Christ.
C’est Lui, la vraie source de fécondité de leur travail, sans Lui, leur entreprise acharnée restera vaine.
Le fruit désiré ne sera pas au rendez-vous.
Il a fallu qu’ils écoutent de nouveau leur Maître, qu’ils Le rencontrent en face à face pour que leur vie de pêcheur et d’apôtre retrouve son sens originel.
Le chrétien, le plus dévoué qu’il soit, ne fera pas avancer l’Église sans cela, désolé !
Bien sûr, peut-être sera-t-il à l’origine d’intéressants projets pastoraux, créant des buzz dont un ou deux journaux lui consacreront quelques lignes ; toutefois, il ne changera pas le cœur des gens.
Sans le Christ, le remaniement du monde ne sera jamais profond et durable.
Sans le Christ, l’Église est vouée à l’échec…, à la stérilité.
Et si je parle du Christ, bien évidemment il ne suffit pas qu’il soit sur nos lèvres et sur nos affiches.
Non, il doit surtout imprégner notre vie.
Nous, comme ces apôtres fatigués, devons être les premiers à L’apercevoir au rivage de notre quotidien et à écouter ses consignes.
Si nous-mêmes ne Le voyons pas en premier, comme oser espérer que d’autres le verront ?
Et, je vous l’assure, le Christ ne volera pas votre vie !
Parfois persiste une crainte en nous-même – sans aucun fondement sérieux- que si nous nous engageons dans la paroisse, nous serons complémentent « dévorés ».
Mes frères bienaimés,
je vous l’assure : le Christ ne vous transformera ni en grenouille de bénitier, ni en punaise de sacristie ni en animateurs qui défendront becs et ongles leur pré carré contre ceux qui voudraient, par hasard, s’investir à leur tour.
Relisez l’Évangile :
Le Christ ne remplace pas les apôtres dans leur tâche : lui-même ne jette pas le filet…
Il leur souffle la direction… à droite de la barque…
Il ne leur donne pas non plus une leçon de morale.
En revanche, il leur prépare un repas pour qu’ils reprennent des forces… car la pêche d’hommes n’est pas finie …
Elle ne fait que commencer !!!
Amen