Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse st Pierre et st Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon
Quand la prudence est partout, le courage n’est nulle part
3ème dimanche du carême, année A,
15 mars 2020
Lectures :
Ex 17,3-7 : … et le peuple avait soif.
Rm 5,1-2.5-8 : Dieu a fait de nous des justes par la foi.
Jn 4,5-15.19b-26.39a.40-42 (lecture brève) : La samaritaine et le don de l’eau vive
Aujourd’hui, nous nous sommes arrêtés au puits de Jacob.
La chaleur est de plomb car nous sommes à la sixième heure, c’est à dire qu’il est environ midi.
Le Christ s’assied, fatigué par la route qu’il vient de faire.
Il a soif mais il ne boit pas tout de suite. Il ne se rue pas sur la source. Il se retient, malgré ses lèvres crevassées et sa gorge desséchée.
Il ne boit pas car il y a toujours des choses plus importantes que ses propres besoins et nécessités.
Le Christ n’était jamais nombriliste. Il regardait toujours autour de lui pour voir ceux dont les nécessités étaient plus grandes que les siennes.
A ce moment-là, c’était elle, une femme, une Samaritaine.
Elle était jolie, même si elle n’était pas de toute première jeunesse…, ses cinq mariages en témoignaient.
Ainsi, elle arrive à midi au puits, c’est-à-dire au moment où la chaleur est la plus intense.
Pourquoi une telle fatigue ?
Pourquoi ce choix de l’heure la plus pénible de la journée ?
Elle vient à présent car elle n’a pu venir avant.
Les puits, les sources en la terre sainte sont des biens précieux. Ils ne se trouvent pas à chaque coin de rue. Par conséquent, là où il y a de l’eau fraîche, des dizaines, des centaines de gens y convergent, et de surcroît avec leurs bêtes, les mules, les chameaux. Aux heures matinales et de fin de journée, la foule se presse, les files d’attente s’allongent.
Il n’est pas rare que des bagarres éclatent.
La source est moins souvent une halte de paix qu’un lieu où les coups se font sentir.
En revanche, à midi, à l’heure où le soleil est à son zénith, a priori, il ne doit plus y avoir personne. Les gens sont déjà chez eux, à l’ombre du figuier.
Ils mangent, ils boivent du vin coupé de l’eau fraîche puisée auparavant.
Ils font la sieste. La Samaritaine part donc, sans grand risque d’en être repoussée.
Combien de fois dans sa vie y est-elle déjà venue ?
Un bon nombre.
Peut-être y vient-elle 3, 4, 5 fois par semaine car la capacité de ses cruches et sa force physique ne lui permettent pas de prendre davantage d’eau à chaque fois.
Alors, elle vient régulièrement en répétant le même rituel : descendre le seau, le remonter du puits, remplir les récipients apportés et les mêmes gestes répétés inlassablement.
Rien d’extraordinaire. La routine, le quotidien, l’usure, le découragement…
Mes frères et sœurs bien aimés, ce que nous observons dans l’Evangile de ce dimanche, c’est notre vie répétitive, ordinaire, où les mêmes gestes
se renouvellent encore et encore, la fatigue, la lassitude auxquels se mêlent de beaux moments de grâce mais ces derniers n’arrivent pas tous les jours.
Tous les jours, nous puisons l’eau à la sueur de notre front.
La rencontre avec le Christ change complètement la vie de la Samaritaine. Enfin, elle a découvert la source d’eau jaillissant pour la vie éternelle.
Elle a rencontré le Messie. Ses certitudes sont tombées face à la Vérité.
Ainsi, son quotidien qui manquait de charme et d’attraits a enfin trouvé du sens.
La hiérarchie des valeurs est de nouveau établie. Elle reprend sa vie en main.
Elle devient une personne nouvelle, comme tant d’autres de sa ville qui eux aussi croient en Jésus.
Dans notre vie, nous avons, frères et sœurs bienaimés, beaucoup de jours, des semaines, des ans où rien ne se passe. L’ordinaire succède à l’ordinaire.
Cependant, aussi, de temps en temps, nous avons des moments exceptionnels liés à des rencontres, des évènements inattendus, des expériences atypiques.
Parfois, c’est comme un coup de masse sur la tête… mais après, plus rien n’est comme avant.
Nous changeons, nous devenons un homme nouveau, mais hélas ! pas tous. Malheureusement car, parfois, nous ne sommes pas à la hauteur de la chance rencontrée, nous ratons de belles occasions de devenir grands.
Rêvant depuis des années à un évènement qui pourrait changer le cours monotone de notre vie, une fois placée devant lui, nous reculons…
Nous ne nous engageons pas.
Finalement, nous battons en retraite et revenons aux positions sécurisées pour éviter le risque.
Dans ma vie, j’ai connu pas mal de héros qui avaient à la bouche des mots forts et, de leurs potentielles batailles, ils sortaient vainqueurs…, mais quand celles-ci se présentaient réellement à eux, ces matamores étaient les premiers à fuir.
Et comme le fait d’avoir montré son dos n’est pas très valorisant, ils trouvaient forcément toujours des parades, des excuses ou de doctes justifications pour se défendre.
N’est-il pas vrai que l’ironie, c’est le courage des trouillards ? [1]
A présent, vous, moi, notre société et le monde entier sont confrontés au coronavirus. Notre train-train habituel en a été bouleversé. Chacun de nous se trouve face à une situation exceptionnelle.
Elle nécessite des choix… des choix courageux, car nous vivons une épouvantable crise.
Alors, soit nous passons à côté de la chance de devenir des hommes nouveaux, grandis par l’épreuve …, soit nous restons tout simplement des gens qui ne pensent qu’à leur sécurité, leur frigo approvisionné pour des semaines, appliquant avec zèle toutes les consignes dictées par l’état providence.
Ce dilemme-là se pose à chacun de nous !
Je ne peux prendre de décision à votre place et vous, non plus, à la mienne.
L’héroïsme ne se décrète pas.
On l’assume !
Si nous parcourions un peu l’histoire, nous constaterions clairement qu’au cours d’épidémies, de guerres, de révolutions, seuls les hommes courageux
ont su résister à la panique, aux persécutions, à la collaboration…
Mes frères et sœurs bienaimés,
Sachant que le courage ne se vend pas à l’auberge [2] et que le seul courage est de parler à la première personne [3] , ne pensez pas que je remette en cause les mesures sanitaires et sécuritaires prises par les autorités, ecclésiales comprises.
Toutefois, quant à moi, je serais heureux que notre communauté passe et surpasse ce temps d’épreuve avec une belle force d’âme…
Saisissons cette occasion inattendue que Dieu nous donne pour découvrir qui nous sommes vraiment.
Que les masques que nous avons fabriqués pour notre usage personnel et social tombent…
Ne soyons pas comme ces compatriotes de Moïse, qui, manquant d’eau, mettaient en doute la providence divine et récriminaient contre lui.
Bien évidemment, soyons prudents, car la prudence est l’une des vertus chrétiennes, mais un archevêque de Bruxelles, entre-autres, durant la première guerre mondiale, la cardinal Mercier avait remarqué astucieusement :
quand la prudence est partout, le courage n’est nulle part.
[1] Catherine RIHOIT, Entretien avec Bernard Pivot – Avril 1980 (cité auprès de : http://evene.lefigaro.fr )
[2] De Proverbe corse
[3] Arthur ADAMOV, L’Aveu (cité auprès de : http://evene.lefigaro.fr )