Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon
Tous les Chrétiens sont disciples du Christ, mais ils n’ont pas la même puissance
La Pentecôte, année A, le 31 mai 2020
Lectures :
Act 2,1-11: Tous étaient dans la stupéfaction parce que chacun d’eux entendait les Apôtres parler sa propre langue.
Cor 12,3b-7.12-13 : …chacun reçoit le don de manifester l’esprit en vue du bien de tous
J 20,19-23 : La paix soi avec vous
Mes frères et sœurs bien aimés,
Depuis le 11 mai, nous recouvrons chaque jour un peu plus la liberté.
Je pense que nous en profitons, heureux de sortir de chez nous.
C’est bon d’être chez soi mais, même malgré cela, on a besoin d’être aéré.
Alors, profitant de ces nouvelles possibilités, je suis descendu à Lyon pour un RDV, ce qui ne m’était pas arrivé depuis presque 3 mois.
J’étais content de retrouver cette grande ville pourtant restée de taille humaine. L’homme n’y est pas encore totalement perdu comme c’est le cas dans les mégapoles érigées telles de grandes fourmilières ou termitières, si caractéristiques des plateaux tropicaux.
Ainsi, à l’occasion de ma visite, j’ai découvert que garer sa voiture dans le centre-ville ou à proximité coûte cher. J’ai donc stationné grande rue de la Guillotière, au croisement de la rue Garibaldi : 2 heures…, boum, 11 euros !!!
Ça rapporte, la rue !
Cependant, je ne voudrais pas vous parler des tarifs prohibitifs que la municipalité lyonnaise impose aux automobilistes. Je voulais relater que, de retour à ma voiture, j’ai trouvé sur son pare-brise une petite feuille d’annonce.
Ne vous inquiétez pas, ce n’était pas une Raphaëlle ou une Sandra qui me déposait son numéro de téléphone avec des propositions alléchantes.
C’était un certain Professeur Doubaya…
Vous ne le connaissez pas, moi non plus. Pourtant, sur le feuillet était écrit : célèbre médium africain, voyant sérieux, dons de naissance incontestables.
Bien évidemment, je ne contestais rien du tout, ne le connaissant pas, d’autant que l’annonce était sans appel : il résout tous vos problèmes, met fin à tous vos soucis, quelle que soit la difficulté, de loin ou de près.
Vous voyez, si quelqu’un a encore des doutes sur la présence de divinités dans le monde, il lui suffit de rencontrer le professeur Doubaya qui règlera les problèmes dans tous les domaines, d’un mauvais mariage à un banal mal de dos !
Mais ce qui m’a fait réfléchir le plus, c’est la phrase qui concluait cette annonce :
tous les voyants sont voyants mais ils n’ont pas la même puissance.
Tiens, en lisant cette phrase, elle m’a spontanément renvoyé vers disciples du Christ, heureux de l’être, je l’espère…
Ne pensez pas qu’on pourrait l’adapter ainsi:
Tous les Chrétiens sont disciples du Christ, mais ils n’ont pas la même puissance.
Mes frères et sœurs bien aimés,
je ne voudrais pas vous parler pourtant des dons de la grâce dont parle Saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens entendue en deuxième lecture.
Je veux rester davantage au niveau général, commun à nous tous, croyants en Christ. Et la première chose qui me saute aux yeux quand je pense aux catholiques, c’est la grande disparité entre nous.
Nous avons reçu la même éducation, la même mission, le même Esprit…, nous faisons partie du même corps du Christ. Nous sommes donc tous des Chrétiens mais nous ne ressentons ni la même force ni le même courage…
Où est-il passé, cet Esprit qui remplissait les apôtres de joie le jour de la Pentecôte ?
Où est-il, ce feu qui se posait sur chacun d’eux ?
Pourquoi la parole des membres de l’Eglise n’est-elle plus audible comme autrefois quand les gens du monde entier : Parthes, Mèdes, Elamites, habitants de Mésopotamie, de l’Asie, de la Phrygie, Romains… et tant d’autres, comprenaient ce que l’Esprit Saint leur disait chacun en leur langue par la bouche des apôtres ?
Aujourd’hui, dans les temps qui sont les nôtres, nous avons l’impression du contraire. Personne, ou peu de gens, comprennent ce que l’Eglise leur dit.
Par conséquent, les Chrétiens se taisent de plus en plus.
Que s’est-il donc passé ?
L’Esprit Saint ne souffle-t-il plus ?
N’enseigne-t-il plus ?
Est-il allé se coucher sur le paillasson de la maison du bon Dieu ?
Est-il confiné comme nous l’étions ?
Personnellement, pour trouver quelques réponses, je pense qu’il nous faut revoir la symbolique de la Pentecôte quand l’apparition des langues, que l’on aurait dites de feu, se partageaient et se posaient sur chacune de leur tête. Tous les tableaux, toutes les images que nous avons en tête montrent les douze apôtres et Marie, souvent au centre, en prière avec, au-dessus d’eux, des flammes de feu.
Eh oui, Marie, les apôtres, les premiers disciples du Christ étaient des gens de feu. Ils étaient comme un buisson ardent, flagror non consumor – ils brûlaient d’amour et de zèle mais ne se consumaient pas.
La tiédeur, ils en avaient horreur !
Sans doute y avait-il des Chrétiens tièdes et refroidis mais ils étaient minoritaires.
Du moins, ne se vantaient-ils pas car ils savaient avoir tort et être en contradiction avec les nobles titres que chacun d’eux portait : ambassadeur du Christ et citoyen du Ciel.
Mes frères et sœurs bien aimés, parfois, je laisse libre cours à mon imagination. Et c’est ce que j’ai fait en méditant sur la Pentecôte, sur l’Esprit Saint, sur l’actualité, sur nous, sur moi.
Je me suis alors demandé quel attribut pourraient avoir les Chrétiens d’aujourd’hui au-dessus de leur tête : toujours une flamme de feu ou peut être autre chose ?
Passons en revue les quelques types de chrétiens que mon imagination m’a soufflés et auxquels j’ai attribué les signes suivants :
Tout d’abord, une girouette. Vous savez, la flèche mobile pivotant sous l’effet du vent.
En effet, il y a des baptisés girouettes qui pensent, parlent, vivent toujours dans le sens du courant dominant. Ils se nomment progressistes, ce qui veut dire ceux qui sont à la mode, en première ligne, bref ! à l’avant-garde.
Ils n’ont pas d’idées propres, ils adoptent les idées des autres.
D’ailleurs, si l’Eglise essuie des critiques aussi sévères, c’est qu’elles sont souvent issues de leurs rangs. Ils s’autorisent à donner des leçons : ils se sentent majoritaires. Ils sont courageux parce qu’ils sont en meute !
O ! Malheureux, quand aucun vent ne souffle, même les girouettes ont du caractère. [1]
Il y a aussi les baptisés qui ont remplacé les flammes de feu par des masques. C’est d’ailleurs très tendance, en ce moment.
Alors, ils vivent masqués, prudents à l’excès, méconnaissables. Il faut vraiment se creuser les méninges pour deviner qui ils sont vraiment, quelle religion ils pratiquent.
Ceux d’entre nous qui se souviennent du Concile Vatican II et des certaines fantaisies qui l’ont suivi…, devraient se souvenir de la Pastorale de l’enfouissement. En suivant la parabole du levain (Mt13,33), il s’agissait pour les Chrétiens d’être comme le levain, enfoui discrètement et sagement dans la pâte et la faire lever.
Depuis, plus de 50 ans se sont écoulés, et, comme vous le savez, la pâte n’a pas levé. Les statistiques sont plutôt cruelles et pourtant, on trouve toujours des personnes qui pensent qu’il faut rester discret, ne pas se démarquer du décor, rester toujours en retrait…, bref ! surtout ne pas faire de vagues.
Un théologien, dont je ne me souviens plus du nom, avait quand même eu l’honnêteté d’admettre :
Nous, les chrétiens, nous nous sommes tellement enfouis que nous avons fini par être enterrés.
Le troisième type de Chrétien que j’imaginais, je le vois avec un drapeau blanc au-dessus de leur tête. Ainsi, je les nommerais volontiers démissionnaires professionnels ou pacifistes naïfs. Rendus avant même que le combat ne soit engagé.
Ceux-ci devraient lire Quatre générations sous un même toit [2] écrit par Lao She, romancier et dramaturge chinois persécuté pendant la révolution culturelle de Mao Zedong, poussé au suicide selon la version officielle mais dont certains n’excluent pas l’idée d’un crime politique.
Alors Lao She a écrit :
il vaut mieux n’avoir pour toute nourriture que du fumier en vivant sous son propre drapeau que de manger de la viande sous le drapeau ennemi.
Ceux qui veulent approfondir la psychologie des Chrétiens démissionnaires, je les renvoie au livret de Marcel Clément, pas un très gros pavé, et qui date déjà, puisque paru en 1965 sous le titre: La France, pays de mission ou de démission ? [3]
Très suggestif, n’est-ce pas?
Mes frères et sœurs bien aimés, j’arrête ici de partager les images qui me sont venues à l’esprit en réfléchissant aux Chrétiens d’aujourd’hui. J’espère – et je ne souhaite à personne- de se retrouver dans l’un des groupes évoqués ci-dessus. Ce serait un gâchis, un contre sens.
En revanche, je vous invite à faire l’exercice suivant, par exemple ce soir ou demain : mettez-vous devant le miroir de votre salle de bains.
Fermez la porte pour être tranquille.
Regardez-vous… regardez votre visage…, en vous posant la question sur votre foi, sur vos attitudes, sur votre vie de Chrétien au quotidien :
essayez alors d’imaginer quel objet, quel symbole aurait pu apparaître au-dessus de votre tête ?
Verriez-vous spontanément une flamme de feu ?
Ou plutôt autre chose ?
Qui serait le signe révélateur de ce que vous êtes.
Mais je crains que, pour beaucoup, ils ne voient rien d’autre qu’un point d’interrogation.
Un grand signe d’interrogation, bien noir, bien calligraphié.
Car c’est cela, la vraie cause de la faiblesse des Chrétiens, voire Catholiques des temps présents : la perte de leur identité.
De plus en plus, nous, disciples du Christ, ne savons pas qui nous sommes, ce que nous avons à faire d’important dans ce monde, à quels besoins nous devons répondre.
Nous sommes devenus comme tout le monde…
Au lieu d’évangéliser le monde, nous avons fini par mondaniser l’Evangile et l’Eglise.
Cependant, n’oubliez jamais, mes frères et sœurs bienaimés, que l’Esprit Saint nous a été envoyé pour que nous devenions ce à quoi nous sommes appelés :
A être des éclaireurs.
Billy Graham, célèbre évangéliste américain, mort en février 2018 à presque 100 ans, dans l’une de ses prédications a bien défini le rôle des chrétiens:
Nous sommes les Bibles que le monde lit, nous sommes les crédos dont le monde a besoin, nous sommes les sermons que le monde écoute. [4]
Ainsi-soit-il
[1] Stanislaw Jerzy LEC, Nouvelles pensées échevelées
[2] Quatre générations sous un même toit est un roman de l’écrivain chinois Lao She. Écrit entre 1940 et 1942, édité au Mercure de France en 1996 dans une traduction française réalisée par Jing-Yi Xiao
[3] Marcel CLEMENT, La France pays de mission ou de démission ?, Mulhouse, 1965, pp.126
[4] In : https://emcitv.com/billy-graham/texte/40-citations-de-billy-graham-73275.html