Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu Solennité de saint Irénée, 2ème évêque de Lyon et père de l’Eglise,

Publié le Publié dans Homélies

Lectures :

Ap 7,13-17 : Moi, Jean, j’ai vu une foule immense…

2 Tm 2,22b-26 : … cherche à vivre dans la justice, la foi, l’amour et la paix…

J 15,1-8 : Moi, je suis la vraie vigne, et mon père est le vigneron.

Alors que j’étais petit, à l’âge de l’école primaire, la sœur qui faisait
le catéchisme nous a parlé un jour des relations entre les hommes et notre divin créateur, Dieu en personne.

Elle se servit du dessin d’une chaise sur laquelle étaient placé en grandes lettres le mot : DIEU.

Devant la chaise se tenait un autre mot écrit également en grandes lettres : HOMME.


En regardant l’image, tout gamins que nous étions, nous saisissions son message : Dieu devrait toujours être le centre d’intérêt de chaque homme et l’homme, bien que créature la plus magnifique de Dieu, lui rester inférieur ontologiquement et par conséquent appuyer son existence et tirer tout son sens de l’Etre Divin.


Je ne sais pas si la sœur en question avait lu Saint Irénée, le deuxième évêque de Lyon, père de l’Eglise que nous célébrons aujourd’hui mais une chose est sûre : elle avait bien su représenter son enseignement correspondant à l’une des affirmations du saint évêque :

… les choses créées d’ici-bas tirent de quelque grande cause le principe de leur existence, et le principe de toute chose, c’est Dieu ; car lui-même n’a été créé
par personne, mais c’est par lui-même que toute chose a été créée.
[1]

     Cette évidence de l’existence du créateur et de ses créatures et la subordination de ces derniers au premier fut bien présente jusqu’à la moitié du vingtième siècle mais ne l’est plus aujourd’hui.

Certes, à l’époque dite « des lumières », la conception de Dieu commençait déjà à être mise à mal et essuyait de sévères critiques ; cependant, personne ne songeait à gommer complètement l’existence de Dieu.

Lui, Il gardait sa place suprême, dominante dans la hiérarchie des êtres.
Par contre, il était éloigné du monde et des affaires des humains puisque jugé
comme l’obstacle principal à leur émancipation.

Si le philosophe allemand Friedrich Nietzsche essayait auparavant de tuer Dieu, c’était pour les mêmes raisons : il voulait que l’homme soit affranchi de toute tutelle malgré qu’elle soit divine.

Cependant, comme vous le savez, Nietzsche n’a pas réussi le parricide de son père céleste.

Je me souviens d’un dessin humoristique sur un mur où il était écrit à la craie :                    

                                   Dieu est mort.

                                            –   Nietzsche.

Le lendemain, les passants ont pu voir cette phrase-là rayée d’une barre épaisse suivie un peu plus bas de cette autre phrase

                                 Nietzsche est mort.

                                                     Signé: Dieu.

Effectivement, le célèbre allemand est mort après avoir sombré dans la folie.
Il se prenait pour Napoléon, s’identifiait à Dionysos, voire même au Christ.
Le pauvre a passé les dernières années de sa vie dans un asile d’aliénés,
donc de fous, pour parler clair.

Donc Dieu lui a survécu, à l’instar des idées nietzschéennes, qui ne sont pas mortes, contrairement à leur auteur.

Elles ressurgissent régulièrement dans l’unique but de laisser l’homme orphelin, seul au monde, solitaire, désemparé… et tenir Dieu son créateur loin de lui.

D’ailleurs, nous observons cet acharnement contre tout ce qui est d’ordre spirituel. L’homme contemporain veut renverser la chaise dont je vous ai parlé tout à l’heure ou plutôt, il veut chasser Dieu de cette chaise pour y poser ses propres fesses, pardonnez-moi l’expression.

        Durant le confinement, j’ai lu le livre d’un certain Robert-Hugh Benson, pasteur anglican converti au catholicisme. C’est un livre dont Benoit XVI disait que sa lecture fut pour lui un fait de grande importante et le pape François qu’il est une de ses lectures préférées.

Peut-être certains de vous savent déjà de quel livre je veux parler.

Son titre est : Le Maître de la terre, sous-titré, la crise des derniers temps.
Il s’affirme comme un roman mais est, en fait, un livre prophétique.

Ecrit en 1907, il aborde des sujets d’une actualité impressionnante,
comme si ce livre avait été écrit au présent.

Entre autres, Benson parle des nouveaux rapports qui s’installent entre le spirituel et le matériel : … les hommes ne s’adresseront plus à un Dieu qui s’obstine à se tenir caché, mais bien à l’homme, qui a appris sa propre divinité.
Le surnaturel est mort, ou plutôt, nous savons aujourd’hui qu’il n’a jamais vécu
.[2]

Puis Benson s’exprime encore plus explicitement : … l’humanitarisme […],
est en train de devenir lui-même une religion organisée, malgré la négation
du surnaturel. Il s’est associé au panthéisme […], il possède, lui aussi,
un Credo : « L’homme est dieu »[3]
.

Dans l’un de ses derniers livres : Théorie de la dictature, écrit bien plus
de 100 ans après celui de Benson, Michel Onfray note les mêmes constats ciblant le progrès :

Le progrès est devenu un fétiche et le progressisme la religion d’une époque
sans sacré, l’expérience d’un temps désespéré, la croyance d’une civilisation sans foi.[4]

[…] combien ce progrès est un regrès, ce progressisme une régression.
On trouvera à son sommet une petite poignée de privilégiés qui bénéficieront
de ce posthumanisme tandis qu’à la base, la multitude subira cette loi.
[…] L’intelligence collective sera confisquée par une meute disposant des pleins pouvoirs.

Et Onfray conclut : Nous nous dirigeons vers une société égyptienne avec une élite de scribes qui saura lire, écrire, compter et qui fonctionnera de concert avec la caste des prêtres qui elle-même sera au service de nouveaux pharaons dont la religion païenne aura pour dieu le posthumain et pour culte le transhumanisme.[5]

Mes frères et sœurs bienaimés,

Comment devons-nous réagir face à ce changement de paradigme où Dieu
est remplacé par l’homme, le progrès, la nature qui se voient tous divins
mais refusent de reconnaître leur créateur ?

C’est comme si un enfant se disait : je suis de telle famille, mais je n’ai ni père,
ni mère : je me suis créé tout seul
.

Que lui répondriez-vous ?

Tu te trompes, mon petit…, forcément, tu as des parents.

Tu les aimes ou non, tu les fréquentes ou pas, c’est une autre affaire, mais le fait qu’ils t’aient donné la vie est incontestable.

C’est un fait réel, pas une hypothèse.

Saint Irénée que nous fêtons aujourd’hui dans notre diocèse ajouterait son regard théologique sur le refus de la filiation avec Dieu si répandu dans les temps qui sont les nôtres.

Pour lui, la distanciation avec Dieu imposée par la culture prépondérante
et voulue par l’homme contemporain est un contre sens, une sorte
de condamnation à la médiocrité.

Pour Irénée, l’homme a tant à gagner à rester en relation étroite avec Dieu
qui ne rivalise nullement avec lui.

Bien au contraire : il le fait grandir et devenir un homme véritable.

[…] c’est pourquoi, à la fin (de l’œuvre de la création), « non par la volonté
de la chair ni par la volonté de l’homme » mais par le bon plaisir du Père,
les Mains de Dieu ont rendu l’homme vivant, afin qu’Adam devienne à l’image
et à la ressemblance de Dieu.[6]

Tous les événements – de la création et de l’histoire du salut – […] se sont accomplis au bénéfice de l’homme qui est sauvé, faisant mûrir son libre arbitre en vue de l’immortalité.[7]

Ainsi, vous voyez, contrairement aux courants de pensées d’aujourd’hui,
saint Irénée ne considère pas l’homme en opposition avec son créateur.
Il voit plutôt une indispensable convergence, définie par sa célébrissime phrase :

Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu.[8]

Cependant, il ne s’agit pas du tout de remplacer Dieu, mais de l’intégrer
dans son être. Il s’agit d’établir la communion qui était propre à l’homme
avant que le péché originel ne la détruise.

Le Christ Jésus en est sa représentation.

Parfaitement Dieu, parfaitement homme, il rétablit par et dans sa personne
la communion perdue.

Si le Christ se sert de la parabole de la vigne entendue lors de la proclamation de l’Evangile, c’est pour illustrer les relations intimes et indispensables entre les hommes et Dieu.

Comme un sarment coupé du cep perd automatiquement sa raison d’être
et sa potentielle fécondité, ainsi l’homme coupé du Christ, la Vraie Vigne,
perd sa finalité et se prive de sa fécondité spirituelle.

Certes, il peut vivre encore quelques instants mais, au final, il se dessèche de plus en plus, il se durcit…, pour finalement mourir et n’être bon qu’à jeter ou brûler.

Cependant, la vocation de l’homme est la gloire de mon Père – dit le Christ -,
et c’est que chacun donne beaucoup de fruit.

Saint Irénée est parvenu à la même conclusion par laquelle je finirai cette homélie :

Car la gloire de Dieu c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu. […].

Tel est donc l’ordre, tel est le rythme, tel est l’acheminement par lequel l’homme créé et modelé devient à l’image et à la ressemblance de Dieu incréé :

le Père décide et commande, le Fils exécute et modèle, l’Esprit nourrit
et fait croître, et l’homme progresse peu à peu et s’élève vers la perfection,
c’est-à-dire s’approche de l’Incréé : car il n’y a de parfait que l’Incréé
et celui-ci est Dieu
.[9]

                                                                                     Amen


[1] Irénée de Lyon, La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant (textes choisis), Les éditions du Cerf, Paris, 2008, p.54

[2] Robert-Hugh BENSON, Le Maître de la terre, Pierre TEQUI, Paris 2015, p.129

[3] Idem, p.18

[4] Michel ONFRAY, Théorie de la dictature, Robert Laffont, Paris, 2019, p.189-190

[5] Idem, p.197

[6] Op.cit., La gloire de Dieu…, p.58

[7] Idem, p.59

[8] Ces mots puissants, qui sont prononcés pour la première fois par saint Irénée le sont à nouveau dans les écrits de saint Athanase, saint Grégoire de Naziance et saint Grégoire de Nysse. (cité auprès de: https://fr.aleteia.org/2017/01/24/dieu-sest-fait-homme-pour-que-lhomme-se-fasse-dieu/

[9] Op.cit., La gloire de Dieu…, p.94