Lectures :
Za 9,9-10 : Exulte de toutes tes forces, fille de Sion !
Rm 8,9.11-13 : …vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair…
Mt 11,25-30 : …car je suis doux et humble de cœur…
Je pense qu’en ce jour qui marque la fin de notre pelé des hommes, nous aurions pu avoir un texte un peu plus viril, plus combattif, qui s’adresserait davantage au public masculin.
En effet, le texte de ce dimanche paraît, de prime abord, s’adresser aux faibles, aux tout petits… puisque notre Seigneur Jésus le Christ y déclare que son Père céleste est carrément contre les grands de ce monde et en fuit les élites :
Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange :
ce que Tu as caché aux sages et aux savants, Tu l’as révélé aux tout petits.
Ils sont beaux les gamins…, les gosses joufflus aux yeux espiègles et aux cheveux en bataille, mais en réalité, quand on a 30 ou 40 ans, on ne rêve plus d’être tout petit.
C’est même le contraire : on rêve d’être le roi du monde, celui que l’on admire … celui qui influence et gouverne le monde dans lequel il vit.
Justement, on désire faire partie des élites et des sages qui, par
leurs prises
de position, façonnent le présent et l’avenir de générations entières.
Alors, le Christ ne veut-Il vraiment pas que ses disciples soient au sommet et à la gouvernance ?
Tout Chrétien serait-il condamné d’office à rester à l’entrée de la cour
des grands, en qualité de boy ou de groom, une sorte d’employé de vestiaire, toujours à la traîne de la société qui ne l’apprécie pas et qui, en plus, le lui montre bien ?
Je pense que nombreux sont ceux, dans notre chère église catholique,
qui se sentent en marge des courants dominants, complètement déphasés d’avec
les idéologies du moment.
De surcroît, ils essayent de trouver une explication à une cette situation
en se consolant par l’enseignement du Christ qui lui-même, semble-t-il,
se donne en exemple : je suis doux et humble de cœur.
Mes frères et sœurs bien aimés,
Le raisonnement que je viens d’esquisser n’est pas complètement faux.
Il contient des pépites de vérité.
Cependant, dans sa totalité, il n’est plus vraiment évangélique. Il détourne le véritable message de l’Evangile qui, certes, parle de la petitesse et de l’humilité à maintes reprises mais, en aucun cas, ne signifie qu’il s’agisse d’infériorité ou de complexes vis-à-vis du monde.
Ainsi, comment pourrions-nous expliquer les vocables que notre Seigneur donne à ses disciples : Vous êtes la lumière du monde…
Vous êtes le sel de la terre ?
Comment pourrions-nous comprendre la noble mission qu’Il leur donne :
Allez dans le monde entier et annoncez à tous la bonne nouvelle !
Vous êtes d’accord ? cette mission n’est pas des moindres…, n’importe qui ne pourrait l’assumer.
Saint Paul l’a bien saisi, lui qui disait à ses confrères :
Nous sommes des citoyens du ciel,
Vous êtes les ambassadeurs du Christ.
Par conséquent, les Chrétiens ne sont pas de petites gens sans grade, des ploucs sans instruction : ils font partie de l’élite !
Pourtant, en sont-ils conscients ?
Pas forcément, justement,
car les textes comme celui de ce dimanche les empêchent de se considérer ainsi.
A vrai dire, ils ne savent pas à quoi le Christ les appelle réellement : à
être tout petit ou à être missionnaires universels en vue de transformer le
monde.
Mes frères et sœurs bien aimés,
L’erreur vient de la conjonction de coordination : nous ne devrions pas utiliser « ou » mais « et ».
Dieu veut qu’à la fois nous devenions des leaders et des champions et,
en même temps, que nous restions doux et humbles de cœur. C’est cela, le véritable Evangile !
Dieu nous appelle en même temps à la grandeur… et à la petitesse…
car pour Lui, cela n’a rien de contradictoire : c’est complémentaire.
Ceux d’entre vous qui travaillent dans le bâtiment savent
bien qu’aucune construction ne tient longtemps si ses bases ne sont pas
adaptées à sa hauteur. Autrement dit, pour simplifier l’image, la hauteur d’un bâtiment
est proportionnelle à la profondeur de ses fondations.
Saint Augustin use d’ailleurs de cet exemple pour expliquer ce qu’est l’humilité :
Si tu veux devenir
grand, commence par te faire petit. Tu songes à construire une haute maison,
creuses- en très bas les fondations. Oui, plus tu te proposes d’élever très
haut la masse de l’édifice – en un mot de le faire imposant – plus
il te faut creuser les fondements en profondeur.
Mais si la construction, au fur et à mesure qu’elle avance, s’élève vers le ciel,
celui qui creuse les fondations l’enfonce au contraire en terre.
Donc, la construction en elle-même, avant de s’élever, s’abaisse, et ce n’est qu’après s’être ainsi abaissée qu’elle reçoit son couronnement.[1]
Mes frères et sœurs bien aimés,
L’humilité a mauvaise presse.
Mal comprise, elle est confondue tantôt avec la modestie, tantôt avec la haine de soi. Ce n’est ni un sentiment d’infériorité, ni un sentiment de servilité :
L’homme humble ne se croit pas inférieur aux autres : il a cessé de se croire supérieur. Il n’ignore pas ce qu’il vaut ou peut valoir : il refuse
de s’en contenter. [2]
Je voudrais insister particulièrement sur cette dernière phrase : l’humble
est celui qui se connaît, qui connaît ses points forts ; il est également conscient de ses lacunes mais refuse cependant de s’en contenter.
L’humble véritable a le désir d’aller plus loin dans la conquête de soi.
En connaissant donc son point de départ, il peut plus facilement avancer.
L’humilité précède la gloire, dit le livre des Proverbes.
Marie
Freifrau von Ebner-Eschenbach, écrivaine autrichienne du XIXème
siècle, allait jusqu’à dire : l’humilité
rend invulnérable
Et Bernanos de compléter cette citation par une remarque astucieuse :
L’humilité épargne les affres de l’humiliation.
Pourquoi ?
Parce
que si nous sommes « en vérité » avec nous-même et avec les autres,
si nous sommes des hommes et des femmes sans masque, sans faux semblants, sans
maquillage des apparences, nous n’avons rien à craindre.
Certes,
certaines personnes peuvent ne pas nous aimer, voire nous détester,
mais elles ne peuvent pas nous atteindre…, elles ne peuvent faire jaillir soudainement
aucune affaire Pénélope Fillon pour nous noyer.
L’humilité, la réelle estime de soi nous rendent donc inattaquables.
Certes,
les meutes de bien-pensants peuvent intensifier les aboiements
et les insultes à notre encontre mais elles ne peuvent nous atteindre.
L’exemple du Professeur Raoult de Marseille – devenu une star durant le confinement – démontre que les pieds nickelés et les seconds couteaux,
comme il appelle ses adversaires, ne peuvent rien contre lui, à part traîner
sur les plateaux de télévision pour se plaindre ou signer des tribunes contre lui.
Je ne sais si vous avez suivi l’une de ses interviews où il parlait des élites.
Au cours de cette interview, il disait à peu près cela :
ce
sont de fausses élites qui attaquent des scientifiques de renom.
Les vraies ne le feraient pas, car elles sont d’accord avec moi.
Ensuite,
il a dit : c’est moi qui fais partie
de la véritable élite, énumérant,
en guise de justification, son parcours exceptionnel de médecin et son palmarès
d’éminent chercheur.
Sitôt après cette diffusion, les critiques se sont élevées, l’accusant de manquer de modestie, d’être orgueilleux et de ne pas respecter les autres. Beaucoup lui en voulaient tout simplement car il avait osé dire : je suis un bon médecin…, je connais mon métier…
Vous voyez, c’est cela la mauvaise interprétation de la notion d’humilité.
Si le blanc ou le noir nous disent respectivement : je suis blanc, je suis noir, est-ce un mensonge ?
Est-ce un mépris de l’autre ?
Mes frères et sœurs bien aimés, soyez authentiques, soyez ce que vous êtes réellement. En vous habite l’Esprit de Dieu, en êtes-vous conscients ?
Ne le cachez pas, n’en ayez pas honte.
La vérité vous rendra libres… et victorieux !
Remémorez-vous le combat entre le petit David et le géant Goliath : sûrement vous souvenez-vous que le premier a gagné alors qu’il était encore enfant, tout jeune donc…, sans beaucoup d’expérience. Il s’est trouvé d’ailleurs sur les champs de bataille accidentellement puisqu’il apportait de quoi manger à ses frères qui, eux, combattaient dans l’armé du roi Saül.
Mais je suis sûr que vous ne vous souvenez pas pourquoi il a gagné ce combat ?
Parce qu’il était resté lui-même !
Les conseillers du roi et ses officiers voulaient lui imposer une lourde armure…
Saül
lui-même revêtit David de ses propres vêtements, lui posa un casque
de bronze sur la tête et le protégea d’une cuirasse afin d’être invulnérable
contre Goliath, le héros des Philistins aux pouvoirs exceptionnels.
Une fois habillé, David se rendit vite compte que ses mouvements étaient entravés, que l’armure, au lieu de lui donner plus d’assurance, le ligotait
au contraire. Il décida donc de s’en débarrasser.
Avec seulement une fronde et 5 cailloux, il arriva ainsi sur le champ de bataille où il tua Goliath qui se moquait éperdument de lui.
Avec
presque rien dans la main et l’immense confiance en le Seigneur,
étant lui-même, David avait mis fin au combat.
Songez-y mes frères :
Hier, nous avons marché quelques kilomètres ensemble…, hors du cercle familial, hors de notre lieu de travail.
Peut-être était-ce un temps où vous vous êtes retrouvés un peu vous-mêmes, sans masque, sans fausse apparences…, chantant autour d’un feu des chansons scoutes…
Etiez-vous malheureux ?
Je ne le crois pas…. Parce que vous y étiez comme vous êtes.
Continuez donc ainsi, car l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts demeure en vous.
[1] St Augustin, sermon 69, 2-3
[2] Cfr., Wikipédia, le mot : humilité, (André Comte-Sponville , Dictionnaire philosophique, PUF, 2001)