Lectures :
Is 55,1-3 : Venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer…
Rm 8,35.37-39 : … rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui en Jésus Christ. Mt 14,13-23 : Jésus nourrit la foule
Mes frères et sœurs bien aimés,
Après avoir écouté la 1ère lecture, notre impression spontanée est que le prophète Isaïe a perdu la tête ou, tout au moins, qu’il a perdu contact avec la réalité de tous les jours.
Car, comment peut-on vivre sans argent ?
Comment acheter du vin, de l’eau et des viandes savoureuses sans avoir un sou dans son portefeuille ?
Pourtant, Isaïe ose crier haut et fort :
même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer ».
Quelle folie !!!
Notre sens des réalités se fixe sur l’expérience commune : sans avoir de blé, nous ne pouvons rien acheter…
La belle boulangère ne nous vendra certainement pas le pain quotidien. Dans les grandes surfaces, le caissier et les vigiles ne nous laisseront pas sortir sans avoir réglé nos courses.
Sans argent, nous ne serions pas assurés, ni notre maison, ni notre voiture…, d’ailleurs, nous ne les posséderions guère si, en amont, nous ne les avions pas payées.
Sans nous affranchir des taxes et autres impôts, le fisc nous enverrait aussitôt les huissiers.
Les hôpitaux, sans la carte vitale, refuseraient de nous prendre en charge, sauf pour les premiers soins…
A présent même, les masques censés nous protéger sont payants ; pourtant, sans eux, nous ne pouvons même pas entrer dans un magasin.
Bref, il n’est pas étonnant que, dans la pensée collective, on estime que l’argent régit le monde. Et la sagesse bretonne savait affirmer autrefois que mieux vaut fumée que gelée, mieux vaut argent que cheveux.
Mes frères et sœurs bien aimés, hormis la première impression survenue après avoir lu le texte du prophète Isaïe, j’ose partager avec vous une autre idée qui la contredit magistralement.
Si donc nous réfléchissons un peu, forcément nous constatons qu’il existe une foule de choses que l’on ne peut acheter avec de l’argent, même en souhaitant en dépenser beaucoup.
Voici quelques exemples :
Ce n’est pas avec l’argent que l’on achète le sourire d’un enfant heureux, ni l’amour de notre conjoint, ni sa fidélité.
La rose ne fleurirait pas, même si nous voulions bien la rémunérer : l’amitié durable ne s’instaurerait pas non plus dans notre vie.
Le confinement que nous avons vécu en mars et avril derniers nous a bien montré que la bienveillance de notre voisin, l’attention que nous avons portée aux uns et aux autres, l’élan de solidarité qui s’est traduit par de multiples initiatives lancées non pas de Paris mais de chez nous, de villages et de familles banales, ne s’achètent pas.
Et encore, le portefeuille ne nous procure pas plus d’espérance que la civilisation européenne change en mieux et arrête sa course folle à l’autodestruction.
Les liasses de gros billets n’augmentent pas du tout notre sentiment que le Christ peut nourrir cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.
Enfin, le salut et le bonheur de vivre éternellement ne peuvent pas être acquis par une opération boursière.
Le Pape François, dont le talent des formules laconiques est bien connu mais pourtant frappe les esprits aurait pu dire ceci : le cercueil n’a pas de poche…
Ainsi, devant le Seigneur, nous nous présenterons nus, comme le montrent les multiples tableaux représentant le jugement dernier.
Mes frères et sœurs bien aimés,
Hâtivement et avec une fausse réalité, on déclare que l’Eglise n’aime pas les riches, le profit, le progrès. Bref, l’argent qui se trouve derrière.
Une fois de plus, c’est un stéréotype…une fake news…, une intox…
Les pages de l’Evangile foisonnent d’exemples où le Christ se laisse inviter
par des gens fortunés.
Madeleine Delbrêl, surnommée la sainte de banlieue et considérée par beaucoup comme une des figures spirituelles majeures du 20ème siècle, remarque astucieusement :
n’en rajoute pas : si Jésus a condamné les mauvais riches, il n’a pas condamné les riches.[1]
Ainsi,
notre foi nous rappelle, comme le fait aussi un proverbe français,
que l’argent procure tout hors l’esprit
et le cœur.
L’Eglise reprend donc ce dimanche-là à son propre compte les mots du prophète Isaïe pour nous interroger :
Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ?
Et je finirais volontiers avec une comparaison trouvée par Jean-Marie Bigard, connu pour sa franchise sans détour et ses expressions osées lors d’une interview accordée il y a quelques mois.
Il était donc convié à un gala pour le cancer organisé pour des gens riches, éventuels sponsors et grands bienfaiteurs de la cause.
A
chaque table d’invités était assise également une vedette, une célébrité.
Aussi, Bigard, en discutant avec ses convives attablés, leur dit:
L’argent est comparable au fumier : si on le laisse en tas, il pollue l’air, mais si on le disperse dans les champs, il donne des moissons merveilleuses.[2]
Amen
[1] Madeleine DELBREL, Le moine et le nagneaux, Nouvelle Cité, 2006, p.65
[2] Cfr., https://twitter.com/DavyBocande/status/1201144474509959169