Lectures :
Ez 33,7-9 : Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part
Rm 13,8-10 : Frères ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel.
Mt 18,15-20 : Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute.
Une fois de plus, les textes liturgiques du jour tombent à pic dans le contexte actuel, puisque nous vivons dans un monde régi par les lois omniprésentes.
Celles-ci se multiplient, mutent plus vite que n’importe quel virus, car elles doivent résoudre, de plus en plus, les moindres conflits et malentendus.
Auparavant, on s’est certainement déjà dit cela, 10 lignes, 10 paroles – comme les écrits la Bible – 10 commandements suffisaient à fixer les règles pour une vie commune et les gens étaient assez intelligents et assez honnêtes pour les comprendre et les appliquer.
Car, indéniablement, l’homme a besoin de la loi.
S’il vivait seul, il n’en aurait pas besoin.
Cependant, s’il vit avec les autres, elle est indispensable pour que l’existence commune soit possible.
Imaginons que les feux placés aux carrefours de nos villes et de nos villages ne soient pas synchronisés.
Qu’il n’y ait plus la succession et l’alternance des couleurs verte, orange et rouge et que celles-ci s’allument de façon chaotique…
Nous en sommes bien d’accord, cela créerait un vrai bazar, si ce n’est pire, et je ne parle pas de l’hécatombe des victimes potentielles.
Ainsi avons-nous donc besoin des garde-fous que sont les lois pour permettre de diminuer les risques d’accident.
Et je parle ici dans le sens de la vie en société où les gens, leurs intérêts, leurs envies, leurs caractères se côtoient. Sans règles communes, ces rencontres seraient vouées à des tensions permanentes.
Néanmoins, il y a des moments où leurs trop nombreuses multiplications,
au lieu de faciliter la vie en commun, la compliquent, voire la rendent difficilement applicable sinon oppressante.
Prenons la balustrade d’un escalier étroit : c’est plutôt rassurant.
Elle sécurise la montée et la descente.
Mais,
si la même balustrade était posée en même temps sur les deux bords
et au milieu, en zigzag, je ne crois pas qu’elle serait la bienvenue.
Donc, le bon sens s’impose et… et… forcément, la finalité de la loi.
St
Paul, en parlant à ses frères Romains dans la foi et évoquant l’importance
celle-ci, finit par les mettre en garde :
Le plein accomplissement de la loi, c’est l’amour.
Je vois déjà des avocats et des légistes prêts à bondir de leurs chaises :
l’amour n’a rien à voir dans nos codex. La loi, c’est factuel, c’est nécessaire, c’est objectif.
Et l’amour…, c’est du subjectif et du sentimental.
Cependant, l’amour, pour nous disciples du Christ, n’est rien de tel : l’amour, c’est la loi suprême de toutes nos actions.
C’est la finalité de toute loi.
Toute loi doit viser le bien de l’autre, car l’amour ne fait rien de mal à son prochain.
Par conséquent, le Chrétien se réfère à la loi, certes, mais elle n’est pas absolue en soi. Si elle ne vise pas le bien, le vrai et l’amour, le Chrétien lui désobéit.
Je le dis ici, au pied de la Madone, qui fut érigée pour commémorer un évènement à la foi tragique et heureux : tragique, car une petite vingtaine d’habitants du village avaient été enfermés dans une grange, sous la menace d’y périr par le feu qu’auraient allumé les Allemands.
Heureusement, ils en sont sortis finalement libres, sans subir ce sort atroce.
Pourquoi ces villageois avaient-ils été pris en otage, souvenez-vous-en ?
Par répression, suite aux actions répétées des maquisards contre l’armée
de la Wehrmacht.
Et attention, du point de vue légaliste, ce sont les maquisards qui étaient hors la loi. Le pouvoir en place, selon ses règles en vigueur, s’arrogeait le droit de poursuivre tous ceux qui s’opposaient à lui.
Que dites-vous Père ? – me rétorquerez-vous – c’étaient les occupants. Ils avaient envahi notre pays, nous n’étions pas d’accord, nous avions donc le droit de nous organiser en maquis pour combattre les nazis.
Bien sûr, nous avions le droit de les combattre, la légitimité étant de notre côté, pas de celui du pouvoir en place.
Si je me permets de parler de la loi sous l’occupation, c’est pour montrer qu’elle n’est pas en soi absolue et qu’elle peut être illégitime, complètement et profondément, même si elle est en vigueur.
Il est toujours nécessaire de dire stop à ces lois qui, sous prétexte de nous protéger, grignotent insidieusement nos libertés.
D’ailleurs, de plus en plus, on parle de lois liberticides : sous prétexte de combattre le racisme, l’antisémitisme, le fascisme, on fait appel aux juges.
Faute d’arguments, on exige que la justice tranche et ferme ainsi le discours qui déplaît à ceux qui gouvernent, à ceux qui se prennent pour Louis XIV, à ceux qui ne supportent pas une discussion libre, démocratique, même si elle est parfois forte et pamphlétaire.
Aujourd’hui, Voltaire, Rabelais, Molière…, Coluche et Pierre Desproges, inoubliable procureur fantasque du Tribunal des flagrants délires sur France Inter[1], seraient en permanence renvoyés devant les tribunaux car il se trouverait toujours un quidam offensé par leurs propos.
Les récentes affaires concernant la députée Obono ou le journaliste Malbrunot, recadré sévèrement par le président de la République, ou la généralisation du port du masque sans aucun fondement prouvé scientifique et médical ou enfin, le roman policier d’Agatha Christie, les Dix Petits Nègres, rebaptisé Ils étaient dix, en disent long sur la triade républicaine Liberté, Egalité, Fraternité, gravement menacée.
La personne humaine n’est plus guère au centre de la loi.
Elle n’est plus son but, simplement un sujet qui doit la respecter et se plier à ses exigences.
Pendant les deux, trois dernières décennies, la loi s’est érigée comme une finalité en soi.
Elle est devenue impérative…
Pour détendre un peu l’atmosphère, je vais vous raconter la situation loufoque dans laquelle je me suis trouvé vendredi passé, donc tout récemment.
Je devais célébrer un mariage à Cogny en Beaujolais.
Je donne le nom du village pour que vous compreniez que les aberrations et les énormités ne se passent finalement pas qu’au sommet de l’Etat, à Paris, mais qu’elles sont aussi hélas bien présentes chez nous.
J’arrive donc dans l’église placée sous le vocable de Saint Germain et je salue deux musiciens en train de répéter dans le chœur.
Je tiens dans mes deux mains une boîte contenant tous les parements liturgiques car le curé du lieu m’avait prévenu : je devais tout apporter, y compris les hosties (sic !).
J’entre dans la sacristie.
Personne !
A peine ai-je déposé ma boîte sur le buffet qu’un monsieur masqué surgit derrière moi. Ni bonjour, ni aucune autre salutation de sa part.
Il me dit : je vous prie de mettre un masque.
Surpris, j’essaie de lui dire :
Bonjour Monsieur, je suis en train de m’installer…, je suis seul dans la sacristie.
Le monsieur reste inflexible et me répond :
Non, c’est la loi, je suis ici pour la faire respecter.
Pour le détendre, je lui dis d’un ton conciliant :
Si vous sortez, vous ne me verrez plus, donc la loi sera sauve.
Que n’avais-je pas dit ?
Le monsieur est devenu rouge, tout au moins la partie de son visage au-dessus du masque car je n’en voyais pas plus et il a commencé à hausser le ton :
si vous ne respectez pas les règles,
je ferme l’église et j’appelle la police municipale.
Sympathique, n’est-ce pas ?
Considérant qu’on pourrait avoir des problèmes, je décide de sauver la situation et, en même temps, de démontrer l’aberration d’une telle inflexibilité.
Je commence donc à faire du jogging sur place, tout en disant :
Vous pouvez appeler un agent municipal, pourquoi pas, mais il sera terriblement embêté, car les joggers sont exemptés du port du masque !
Puis devant l’ébahissement du monsieur, je suis passé en trot léger….
La situation était vraiment plus que burlesque : j’étais en soutane…
Imaginez la scène.
Mes frères et sœurs, je vous raconte tout cela pour vous rappeler une fois de plus que nous, disciples du Christ, baptisés dans l’eau et dans l’Esprit Saint, oints à l’instar des prophètes, rois et prêtres, nous ne pouvons pas – nous ne devons pas – nous comporter comme les autres qui ne sont pas touchés par la grâce.
Pour être clair, nous ne sommes pas d’office meilleurs que les autres.
Nous ne devons pas tirer orgueil de la mission que le Christ nous a confiée :
nous ne sommes que de quelconques serviteurs, ne l’oublions pas.
Néanmoins, notre conduite doit refléter la hauteur de la tâche que nous a léguée notre divin Maître : la conversion du monde.
La première lecture et l’Evangile du jour parlent de la nécessité – de l’urgence – de dire au pécheur qu’il pèche.
C’est notre devoir d’état.
Si nous ne disons rien, soit au nom de la tolérance – un mot qui cache tout simplement la lâcheté et le conformisme – soit au nom de la liberté individuelle confondue désormais avec l’anarchie et l’égoïsme, nous nous rendons coupables :
Si
tu n’avertis pas le méchant, il mourra de son péché,
mais à toi, je demanderai compte de ton sang.
Comprenez-vous la gravité de la mission ?
Le Christ en était conscient.
Il savait bien qu’on ne peut pas dire à quelqu’un la vérité déplaisante de manière brutale.
Alors, Il avait établi un mode d’emploi précis :
Va parler à ton frère seul à seul.
S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes.
S’il
refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Eglise
et s’il refuse encore d’écouter l’Eglise, considère-le comme païen ou publicain.
Vous le comprenez bien : en aucun cas, le Chrétien n’appelle la police, ni ne fait appel aux avocats.
Tout d’abord, et surtout, il essaye de rencontrer son frère pour lui dire ce qui ne va pas, mais aussi pour l’aider à s’en sortir : c’est la loi de l’amour.
C’est la primauté de la personne sur la loi.
Le disciple du Christ digne de ce nom ne dénonce pas : il règle le problème.
Il ne condamne pas, il corrige.
St Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, était scandalisé que les Chrétiens aient perdu cette saine attitude de se placer face à leur frère avec lequel ils étaient en conflit.
Je vous conseille de lire le début du chapitre six de ladite lettre.
Saint Paul y écrit :
Lorsque vous êtes en désaccord entre vous, comment se fait-il que vous alliez en procès devant des juges païens, au lieu de vous adresser aux membres du peuple saint. Je vous dis cela pour vous faire honte.
N’y aurait-il parmi
vous aucun homme assez sage pour servir d’arbitre
entres ses frères ?
Vous voyez, le disciple du Christ est un amoureux de la vérité.
Il est quêteur de la Parole, il est chercheur de sens.
Par conséquent, il est sur un autre registre que celui qui respecte aveuglément les lois, obéissant à ses règles sans réfléchir.
Il l’est, bien sûr…, si celles-ci ne s’opposent pas au bon sens, à la vérité objective, à l’amour du prochain, à la foi en Christ car je vous rappelle que tout Chrétien n’est pas seulement citoyen d’un pays, mais, depuis son baptême, il est citoyen des cieux[2], et cela implique de prendre de la hauteur et de juger toutes les situations avec une autre appréciation.
Amen
[1] Elle est une émission de radio satirique française diffusée entre 11 h 30 et 12 h 45 sur France Inter, de septembre 1980 à juin 1981, puis de septembre 1982 à juin 1983.
[2] Cfr., Ph 3, 20