Lectures :
Prov 31,10-13.19-20.30-31 : La femme vaillante, qui donc peut la trouver ?
1Thess 5,1-6 : mais vous, frères, comme vous n’êtes pas dans les ténèbres, ce jour ne vous surprendra pas ….
Mt 25,14-30 : Un homme, qui partait en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
Encore une parabole de plus qui, de prime abord, paraît ambiguë et provoque un certain malaise…, malgré qu’il soit bien évident que les deux premiers serviteurs ont remarquablement rempli leur devoir.
Quant au troisième, rien de comparable !
Ainsi, la peine qui lui est infligée est-elle totalement justifiée et ne devrait poser le moindre problème.
Pourtant, le troisième ouvrier, paresseux ou filou – parlons franc ! – avance, comme motifs de son inaction, des arguments que nous, en France, chérissons tant puisqu’il s’en prend à son maître. Car nous déconsidérons systématiquement les riches et les employeurs.
Ainsi, pour se justifier, il dit, grosso modo :
tu es un profiteur, chef…, tu gagnes tes richesses sur le dos des autres…, tu es un homme dur, donc, moi, je n’ai rien fait.
Sous-entendu :
parce que je ne voulais surtout pas que
tu t’enrichisses encore
sur mon dos grâce à mon travail.
Bref, je te résiste, comme je résiste à tous les capitalistes.
Comment celui-là ne peut-il d’emblée gagner notre sympathie puisque, par son attitude, il se pose en résistant à l’exploitation des ouvriers ?
Par
conséquent, même s’il n’a rien fait pendant toute la durée de son travail
– à part enfouir le talent reçu – nous ne le condamnons pas d’office !
Le Christ, à mon avis, choisissait des histoires à la fois faciles à comprendre et ambivalentes afin que nous allions au-delà des premières apparences et des interprétations qui s’imposent au premier regard.
Notre Maître nous sait dotés d’intelligence : il veut que nous comprenions la réalité des choses qui, au fond, ne sont pas compliquées mais se retrouvent régulièrement brouillées par des sentiments faciles, la fausse compassion, les réflexes culturels et stéréotypés.
Ainsi, au lieu de considérer les sujets tels qu’ils sont, nous y voyons plutôt nos propres projections à travers eux.
Afin de nous en sortir plus honorablement, nous allons comprendre la parabole d’aujourd’hui en nous appuyant sur un exemple plus contemporain, plus proche de nos réalités.
Je vous propose comme protagoniste de mon exemple un viticulteur.
Il embauche trois ouvriers expérimentés. Il confie à chacun une part de sa vigne. Les parts ne sont pas forcément égales car les champs sont nombreux et éloignés, les ceps et les types de sols variés…
Le propriétaire n’agit pas à l’aveuglette, mais en agriculteur expérimenté…
Il connaît ses vignes, de même que les capacités de ses collaborateurs.
Le temps passe…
Deux ouvriers ont bien réalisé leur travail, leurs récoltes sont bonnes.
La satisfaction joue donc pour eux.
Le troisième, qui empoche tout de même un salaire comme les autres, durant tout son temps d’embauche a pourtant été négligeant.
Jaloux de la richesse de son employeur – et peut-être même de ses pairs –
qui avaient reçu plus de responsabilité que lui, il voulait les démolir !
Sa défense : je juge injuste la situation en question, donc j’ai le droit de saboter le travail.
Vous comprenez, bien sûr, l’aberration d’une telle attitude qui ne se justifie
en rien, somme toute ! Le faux argument avancé ne sert qu’à cautionner l’inertie de notre syndicaliste en gestation.
D’ailleurs, dans votre vie comme dans la mienne, je pense que nous avons tous observé une régularité flagrante : ceux qui travaillent le moins, ceux qui ont le plus de torts et de casseroles sont ceux qui revendiquent le plus, ont toujours le plus d’excuses, invoquent d’encore plus coupables qu’eux.
Bref : ils braillent toujours plus fort que les autres.
En se posant en victime du système ou en pourfendeurs d’inégalités, ils cachent leur incurie ou, tout simplement, leur fainéantise.
Si le troisième serviteur de la parabole n’était pas vraiment d’accord avec la proposition de son maître, il ne fallait pas qu’il l’accepte ou, à la limite, une fois embauché, il aurait pu placer l’argent à la banque.
Cependant, il n’a rien fait de tel, hormis les quelques coups de pelle pour enterrer le talent reçu.
Mes frères et sœurs bien aimés, nous vivons des temps propices à la résignation, à l’assistanat, à la victimisation, au rejet constant de la faute
sur l’autre !!!
Nous pouvons être tentés de nous laisser aller et nous dire :
si les autres combinent, si les autres s’en sortent avec moins de peine, pourquoi devrais je me tuer à la tâche ?
C’est une réelle tentation, d’autant plus que ceux qui gouvernent politiquement ou dirigent économiquement préfèrent trop souvent s’entourer de gens médiocres plutôt que de personnes de qualité, droites dans leurs bottes, libres de pensée.
Du coup, devant ce constat, nous perdons parfois le goût de nous battre.
Nous sommes tentés de nous replier sur nous-même, sur notre famille, sur nos objectifs personnels.
Je le comprends aisément car il m’arrive d’y être moi-même tenté !
Cependant, si je me replie…, cela signifie que je capitule…
Et si j’abandonne, si je cède la place… et comme la nature humaine n’aime pas le vide, cette place libérée sera très vite prise et occupée…
Par qui, par quoi ?
Il suffit d’observer votre jardin négligé, une parcelle de terre abandonnée, et vous constaterez vite le résultat.
Je finirai par une citation de Georges Bernanos, tiré de son livre prophétique de 1947. Son titre : « La France contre les robots ».
Que l’un de ses extraits soit pour nous tous une véritable mise en garde :
Voilà longtemps que je le pense, si notre espèce finit par disparaître un jour de cette planète, grâce à l’efficacité croissante des techniques de destruction, ce n’est pas la cruauté qui sera responsable de notre extinction [….], mais bien plutôt la docilité, l’irresponsabilité de l’homme moderne, son abjecte complaisance à toute volonté du collectif.
Les horreurs que nous venons de voir, et celles pires que nous verrons bientôt,
ne sont nullement le signe que le nombre des révoltés, des insoumis, des indomptables, augmente dans le monde, mais bien plutôt que croît sans cesse, avec une rapidité stupéfiante, le nombre des obéissants, des dociles, des hommes, qui, selon l’expression fameuse de l’avant-dernière guerre, «ne cherchaient pas à comprendre».[1]
[1] Cette citation serait extraite de La France contre les robots est un essai de Georges Bernanos publié en 1947.
Il s’agit d’un recueil de différents textes formant une violente critique de la société industrielle. Bernanos y estime que le machinisme limite la liberté des hommes, et perturbe jusqu’à leur mode de pensée. Il est intéressant d’ajouter la dernière phrase du livre de Philippe MURAY, L’Empire du Bien, éd. Perrin, (collection Tempus), Paris 2019, p.142 : Car l’avenir de cette société est de ne plus pouvoir rien engendrer que des opposants ou bien des muets.