Lectures :
Jb 38,1.811 : Ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots.
2 Co 5,14-17 : Frères, l’amour du Christ nous saisit…
Mc 4,35-41 : Les vagues se jetaient sur la barque…
La situation décrite dans le texte de l’Evangile de ce dimanche peut paraître assez étrange.
Nous sommes au chapitre 4 de l’Evangile selon Saint Marc, donc au tout début de la mission publique du Christ. On devrait alors supposer que le Christ ait aimé se faire bien apprécier des gens, se faire un nom reconnu.
Cependant, après quelques prédications et miracles, Jésus ne se satisfait pas
du contentement d’une partie de la population. Au lieu de profiter de ces rassemblements qui commencent à grossir, le Christ demande à ses disciples :
passons sur l’autre rive.
Pourquoi ?
Regarde, Maître, les gens nous apprécient ainsi. Ils commencent à nous connaître, ils deviennent reconnaissants pour tout ce que tu leur as déjà dit ou fait.
Pourquoi aller ailleurs quand ici ça marche ?
Les apôtres auraient tout à fait le droit de penser ainsi… Si cela marche, pourquoi chercher encore ? Pourquoi s’exposer à des risques ? Pourquoi recommencer de nouveau si l’on a déjà construit quelque chose ?
Il y a toujours une forte aspiration, dans notre vie, à nous reposer sur nos lauriers, à vouloir siroter un kir royal bien frais sous les palmiers. Si cela arrive à un prêtre, à une paroisse, à une communauté, c’est le signe avant- coureur de la décadence.
L’organe que l’on n’utilise plus s’atrophie. La personne qui n’affronte plus de nouveaux défis ne vit plus : elle végète.
Déjà, au départ, les apôtres pensent qu’avoir le Christ à portée de main suppose être à l’abri des épreuves. Faire partie de la garde rapprochée du Christ leur garantit d’office une certaine stabilité.
Les premières déferlantes sur leur barque ont vite démontré le contraire.
… parfois Dieu nous éprouve, et si ce n’est pas Lui, la vie dont il se sert pour fortifier notre foi […]. Comme des irréfléchis, nous voudrions traverser le temps sur une mer calme, surplombée d’un ciel impassible au soleil tempéré. Dieu que nous sommes infantiles !
Ne cessons pas de nous redire que l’absence de remous s’apparente à la mort
et que la médiocrité du désir la précipite. Des vagues, par pitié ! Avec en prime, le nécessaire dépassement de toute peur, greffé dans l’âme et le corps
par l’évidence que le Christ silencieux et faussement endormi conduit le destin de chacun.[1]
Mes frères et sœurs bien aimés, l’Evangile du jour m’a fait penser à une de mes expériences marines. Je cabotais quelque part en Méditerranée avec mes amis et des amis de mes amis. Nous avions affrété un grand bateau, un voilier appartenant à l’équipe nationale des scouts de Pologne. Nous étions presque une cinquantaine de membres à bord dont 7 étaient des membres d’équipage professionnels.
Une nuit, nous avons essuyé un bon coup de tabac. C’était une tempête de degrés 8 ou 9 sur l’échelle de Beaufort. Les coups de vent allaient au-delà de 70 kms heure. Notre bateau s’est soudainement retrouvé au milieu de tourbillons d’écume à la crête des lames. Des vagues de 7 à 8 mètres de hauteur passaient de bâbord à tribord, puis de tribord à bâbord. Les gars de quart cette nuit-là – dont moi- durent s’arrimer au bateau avec un filin d’acier pour éviter d’être balayés par une lame.
De surcroît, la visibilité était réduite, en raison des embruns et de la nuit.
Vraiment de quoi avoir la frousse, d’autant que nous n’étions que des » marins d’eau douce » !
Alors, voyant pour la 1ère fois se déchaîner les éléments avec une telle puissance, j’ai été envahi par les mêmes sentiments que mes amis, jusqu’au moment où je suis descendu dans le carré servant de salle à manger à l’équipage professionnel.
Par la porte entrouverte, j’ai aperçu notre capitaine, vautré sur un canapé, lisant tranquillement un livre, comme si de rien n’était. Avec flegme, il me regarda et sans doute, à la vue de mes yeux effarés, il me dit : Przemek, ce n’est rien, ça passera.
Dès cet instant, la peur m’a quitté. J’ai compris qu’il fallait relativiser l’assaut qui, dans le fond, n’était qu’une péripétie parmi tant d’autres. J’ai compris aussi que, pour devenir un vrai marin, il faut justement affronter de telles épreuves et se fier à l’expérience du capitaine.
Mes frères et sœurs bien aimés, parfois, nous sommes en panique, comme nos bons apôtres : nous avons l’impression que des tempêtes menacent la survie de notre barque, l’Eglise.
Alors, n’hésitons pas à poser notre regard sur le Christ afin de nous rappeler qu’Il est avec nous jusqu’à la fin des temps.
Nous n’avons donc rien à craindre. C’est lui, le commandant de bord…
Amen
Père Przemek KREZEL, curé +
[1] Michel-Marie ZANOTTI-SORKINE, L’Evangile à cœur ouvert, éd. Robert Laffont, Paris 2018, p.153