Lectures :
Is 56,1.6-7 : Je ferai bon accueil, sur mon autel […] car ma maison s’appellera :
« Maison de prière pour tous les peuples »
Rm 11,13-15.29-32 : Vous avez obtenu miséricorde
Mt 15,21-28 : C’est vrai, Seigneur […];
mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.
Hier, lors de la solennité de l’Assomption, nous avons suivi Marie, toute Sainte, se rendant chez sa cousine Elisabeth.
Avec elle, nous avons chanté le Magnificat car, effectivement, le Puissant
fit pour elle des merveilles…, Saint est son nom.
Aujourd’hui, sur les pages de l’Evangile, nous découvrons une autre femme,
une Cananéenne qui suit le Christ.
A vrai dire, elle ne le suit pas : elle le poursuit, le traque, le harcèle… de telle façon que les apôtres, la garde rapprochée du Maître, en ont assez.
Ils viennent donc auprès de Lui, afin que Jésus intercède pour elle et qu’ils puissent la renvoyer, ses cris devenant insupportables.
Je ne sais si vous imaginez la scène mais elle devait être dramatique.
Les disciples du Christ, a priori, étaient habitués aux cris des nombreux nécessiteux qui, sachant que le Christ passait dans leur région, voulaient profiter de ses dons de guérison, de la multiplication de nourriture, de l’expulsion des esprits mauvais.
Invariablement, par dizaines, les gens s’approchaient du Christ, lui présentant leurs demandes :
Maître, guéris ma lèpre…
Jésus, réconcilie-moi avec ma famille…
Oh, Rabouni, donne-moi de quoi manger…
Alors, pourquoi, ce jour-là, les apôtres sont-ils excédés par les cris d’une femme ? Car elle ne criait pas, à mon avis, elle hurlait…
Et vous savez, mes chères dames, Dieu ne vous a pas forcément donné des muscles et de la force physique… En revanche, vous avez des cordes vocales qui pourraient abattre les murs de Jéricho.
Il suffit de visionner les films italiens où une dispute de femme est présentée.
On y saisit tout de suite qu’il y a du potentiel… et le sonomètre atteint les sommets de ses capacités.
Les femmes savent très bien poursuivre de leurs cris, quand elles veulent obtenir quelque chose.
Ce n’est pas pour rien que nos ancêtres disaient : ce que femme veut, Dieu le veut. On pourrait malicieusement ajouter : Le pauvre, a-t-il un autre choix ?
L’Evangile d’aujourd’hui répond : Oui, il en a toujours.
Vous voyez, une fois de plus, nous pouvons découvrir Dieu comme il est réellement, et non pas comme nous l’imaginons souvent.
Pourtant, malgré cette insistance hors norme, le Christ demeure insensible
aux égosillements de la femme cananéenne.
Lui, si gentil, si compatissant, sauveur des pécheurs, médecin des corps et des âmes, cette fois, il reste complètement sourd aux revendications justifiées…
La femme en question s’est déplacée jusqu’à Lui, avec une demande légitime :
Seigneur fils de David, ma fille est tourmentée par un démon, elle souffre, elle a besoin de ta puissance…
Et Lui, rien ! il poursuit son chemin…
Nous ne le comprenons plus.
Imaginez que quelqu’un vienne jusqu’à moi, ou vers un autre prêtre, en demandant : Père, ma Maman…, mon enfant… est en train de mourir, pourriez-vous venir pour lui donner le sacrement des malades ?
Et moi, je ne lui répondrais rien…
Je fermerais la sacristie, je prendrais ma sacoche et je partirais, comme si de rien n’était.
Si je faisais ainsi, vous seriez scandalisés, outrés, non ?
Combien de gens mal reçus par un prêtre, par la secrétaire paroissiale, par un laïc responsable d’un service dans l’Eglise se disent en tournant bride :
Tant pis, je n’y retournai plus !
Je vous l’assure, bon nombre de personnes se sont fâchées avec l’Eglise, les prêtres, avec Dieu, car ils n’ont pas été écoutés, reçus, compris comme ils le souhaitaient.
Alors, pourquoi le Christ prend-il le risque de décourager la femme cananéenne ?
Son silence, elle pourrait le prendre comme un profond mépris. D’ailleurs, cela n’aurait pas dû l’étonner : les Juifs considéraient les Cananéens comme impurs, païens, idolâtres… bref, comme un peuple de rien.
A la limite, la femme aurait pu prendre l’attitude du Christ pour de l’indifférence propre à tout Juif.
Néanmoins, le Christ prend le risque que la femme reparte mécontente et aigrie.
Je vous le répète de temps en temps :
Si Dieu réserve ses réponses, s’il parait sourd à nos prières, voire absent…, c’est pour nous sortir de nos schémas préparés à l’avance et de notre orgueil.
Je parle parfois avec des médecins qui me confessent que le plus difficile pour eux, c’est de soigner les gens qui savent tout. Ils ont lu quelque chose sur internet, ont vu une émission à la télé et, à présent, savent mieux que les professionnels comment il faut s’y prendre avec leur maladie.
C’est la même chose dans notre relation avec Dieu : certains savent mieux ce qu’il leur faudrait.
Ils prient… mais leur prière n’a rien d’une supplique : elle est plutôt une injonction adressée à Dieu afin que celui-ci sache ce qu’il doit faire.
Certaines personnes prient Dieu mais ne sont pas prêtes à l’entendre, encore moins à recevoir des réponses qu’ils ne souhaitent pas : pour eux,
Dieu est bon s’il les écoute à la lettre.
Dieu ne se laisse cependant pas réduire à un appareil domestique. Si tel est le cas… il se tait, se retire, simule l’absence afin que les gens comprennent qu’il est un être vivant, une Personne, Dieu.
Le Christ pousse la femme à l’extrême car il veut qu’elle cesse ses jérémiades et ses cris, bien que légitimes. Dieu ne veut pas être otage des malheurs humains :
il veut être partenaire de l’homme.
La femme cananéenne, enfin, l’a compris… peut être une légion de diables campé sur ses épaules lui a-t-elle crié à l’oreille : crache sur ce faux prophète, regarde comme il te traite, ne te laisse pas ainsi humilier.
Elle enfin a compris que la prière n’est pas une conjuration, mais est une relation…
Il faut devenir pauvre de cœur puisque Dieu se penche sur ceux qui sont humbles.
Marie, toute sainte, toute pure, l’a compris.
Et cette femme cananéenne l’a compris aussi.
Elle vient donc se prosterner devant Lui.
Attention, chaque mot compte : elle vient se prosterner devant Lui.
Jusque-là, elle se tenait quelque part dans la foule et de loin lançait ses doléances. Elle pensait qu’elle viendrait faire ses affaires, comme on fait ses courses au supermarché.
Rapidement, au bon marché, incognito… et pour accélérer, une ou deux prises de bec avec la caissière qui ne travaille pas assez vite… et tout est réglé.
Je regagne ma voiture, ma maison, ma tranquillité… jusqu’à la prochaine fois lorsque le frigo sera vide de nouveau.
La femme cananéenne se prosterne…
Auparavant elle était debout… sa souffrance, ses lourds problèmes l’autorisaient à rester la tête haute, droite dans ses bottes.
Elle estimait que c’était au Christ de plier…, que c’était à lui de s’exécuter…
Certaines personnes tirent gloire et honneur de leurs propres blessures et chagrins…
Comme au théâtre, ils y ajoutent de la dramaturgie…
Voyez comme je suis malheureux… malheureuse…
Voyez comme la vie m’éprouve…, vous êtes chanceux, pas moi…
Regardez… regardez je suis victime d’un mauvais sort, de mon mari, de ma mère – un vrai vampire énergétique, de mon papa alcoolique, etcetera…
Le Christ, par ce traitement sévère, admettons-le, dépouille la femme cananéenne de tout superflu, de tout ajout et habillage…
Dieu ne veut pas de ses histoires…
Il désire la rencontrer, en vérité, face à face…
Si nous voulons que Dieu nous exauce, il est nécessaire qu’il puisse nous regarder dans les yeux… Il a besoin de savoir que nous croyons vraiment en Lui, et non pas seulement de bénéficier de ses dons surnaturels.
Il a horreur d’être instrumentalisé, même pour des causes louables et humanitaires.
Frères et sœurs bienaimés,
On ne peut pas construire de vraies relations, des amitiés durables et désintéressées, si nous posons au préalable des conditions…
Je connais des gens qui disent…
- Je serais bonne pour mon mari si, lui, commençait à écouter ce que je lui dis.
- Vous
me verriez plus souvent, mon père, dans votre paroisse, si l’Eglise
se modernisait, suivant la culture moderne et ses mœurs… - Je travaillerais mieux, bien sûr, à condition que mon salaire augmente…
- Je
me marierais, Mamy, mais d’abord il faut qu’avec mon compagnon
nous trouvions une situation…
Et la dernière remarque pour aujourd’hui…
Vous savez pourquoi la femme cananéenne a été exaucée ?
Parce qu’elle a admis, enfin, qu’elle avait besoin, elle-même, du Christ.
Seigneur, viens à mon secours !
Elle ne parle plus de sa fille possédée…, de la nécessité de l’aider…
Elle parle d’elle-même.
Elle a découvert que, venant de loin, elle ne connaissait pas suffisamment le Christ…, elle ne voulait que l’utiliser…
A genoux, humblement prosternée, proche… elle a compris qui est ce Christ qu’elle cherchait…
Elle a cru en Lui…
Et
le miracle s’est produit dans sa vie… pas comme suite à sa demande,
mais comme le début de sa nouvelle vie en Christ… et avec Lui.