Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse st Pierre et st Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon
Heureux les miséricordieux,
car leur bonheur consiste en l’exercice de la miséricorde
et non en l’espoir d’un prix.1
2 Dimanche de Pâques – dimanche la Miséricorde,
le 19 avril 2020, année A
Lectures :
Ac 2,43-47 : Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle…
1 P 1,3-9 : … vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi.
J 20, 19-31 : Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu….
Le premier dimanche suivant le dimanche de Pâques porte depuis plusieurs siècles de nombreux surnoms. Tout d’abord, « la fête de quasimodo », expression formée à partir des premiers mots latins de l’introït de ce jour :
« quasi modo geniti infantes… », comme des enfants nouveau-nés, désirez ardemment le pur lait spirituel.
Ce dimanche est aussi surnommé dimanche in albis car les néophytes, adultes baptisés durant la vigile pascale, entraient à la messe vêtus des habits blancs qu’ils portaient depuis leur baptême et le quittaient lors de la cérémonie.
Le deuxième dimanche de Pâques est aussi le dimanche de l’apôtre Thomas car l’Evangile du jour parle de lui et de son refus de croire en la résurrection.
Le dimanche en question est aussi nommé parfois « Pâques close » puisque c’est ce jour-là que s’achève l’octave de Pâques.
Malgré ces nombreux surnoms tombés plus ou moins aux oubliettes, l’un deux, le plus récent, est encore au goût du jour. Ce dimanche-là, depuis que le saint Pape Jean Paul II l’a voulu ainsi au tout début du 3ème millénaire, est nommé le dimanche de la divine miséricorde.
Ce n’est pas par hasard que Jean Paul II a placé notre millénaire sous le signe de la miséricorde. Il constatait que le monde actuel en avait fortement besoin.
Lui, le Pape de la miséricorde savait que, sans la miséricorde, le monde – l’humanité – pourrait devenir tellement complexe, spécialisée et perfectionnée au point de vue efficacité et rentabilité – que ce qui constitue réellement l’être humain :
la gratuité et le mouvement spontané de cœur disparaîtraient petit à petit puisque jugés superflus et gaspilleurs d’énergie.
Hélas, nous pouvons le constater au cours de cette pandémie du coronavirus : des signes inquiétants et pourtant revêtus d’humanité et de sacrifice se font jour…
Lorsque, par-ci, par-là, des voix se sont élevées, appelant les personnes âgées à céder leurs masques à oxygène aux plus jeunes (2) ou le choix délibéré des médecins de ne plus prodiguer de soins aux personnes âgées en état grave…(3)
L’excuse, admise communément : choisir la personne qui a la plus grande chance de survie.
Et voilà ! le critère utilitaire et pragmatique est devenu la norme, mais heureusement pas encore pour tous.
Si j’aborde ce problème, c’est pour vous faire comprendre que nous sommes en train de changer de paradigme pour notre société, déjà fragilisée par un déficit des valeurs dont celles de l’Evangile.
Auparavant, le plus faible était à l’honneur, notre société se faisant un devoir de protéger les plus jeunes, les plus vieux, les femmes, les malades, les handicapés…
Les robustes, en bonne santé, le plus souvent des hommes en pleine force de l’âge s’exposaient au danger. Ils étaient ceux qui quittaient les derniers les tranchées de combat, le navire qui coulait, la maison qui brûlait.
On les appelait donc, à juste titre, des héros.
Aujourd’hui, cette noblesse de pensée et d’action paraît être minée par l’individualisme et le pragmatisme moderne.
Encore les femmes sont-elles protégées mais les enfants, les malades, les handicapés et les personnes âgées ne jouissent plus que de protections partielles, facultatives, en fonction des circonstances et des besoins de la société.
C’est cela, le véritable visage de l’avortement et de l’euthanasie : on sélectionne ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui ne l’ont plus.
Je quitte cette douloureuse réflexion pour aller admirer le côté lumineux de la force, puisque c’est aujourd’hui le dimanche de la miséricorde.
Alors, je le répète après Saint Jean Paul II : nous en avons fortement besoin.
C’est vital, il faut que nous nous fiions à elle.
Comme un certain Serge Gainsbourg que nous n’aurions guère soupçonné d’une telle réflexion… dans sa chanson des laids des laids, il écrivit :
La sale gueule mais on n’y peut rien
D’ailleurs nous les affreux
J’suis sûr que Dieu nous accorde
Un peu de sa miséricorde.
Alors, mes frères et sœurs bien aimés, savons-nous ce qu’est vraiment la miséricorde ? Je pense que nous avons du mal à en donner une définition claire. Aussi, je vous propose une histoire qui a vraiment eu lieu, quelque part dans une famille.
Un soir, alors que la Maman était en train de préparer le dîner, son fils, disons : 13 ans, vient dans la cuisine, tenant une feuille dans sa main.
Avec une mine sérieuse et officielle, il la donne à sa Maman qui la lit en silence:
-Pour avoir rangé ma chambre : 3 euros
-Pour avoir arraché les mauvaises herbes avec Papa : 5 euros
-Pour avoir gardé ma petite sœur 3 fois : 6 euros
-Pour avoir passé l’aspirateur : 2,50 euros
-Pour avoir eu de bonnes notes en mathématiques : 5 euros
-Pour avoir jeté la poubelle à ta place hier soir : 2 euros
Au total, cela fait 23 euros et 50 centimes.
La Maman a regardé son fils avec tendresse.
Sa tête se remplissait de souvenirs…, sa mémoire s’émouvait…
Alors, elle prit un stylo et, au dos de la même feuille, elle commença à écrire.
-Pour t’avoir gardé sous mon cœur pendant 9 mois : 0 euro
-Pour toutes les nuits passées auprès de toi quand tu étais malade : 0 euro
-Pour tous les moments de consolation que tu m’as demandés : 0 euro
-Pour toutes les larmes que j’ai essuyées sur ton visage : 0 euro
-Pour tout ce que je t’ai appris jour après jour : 0 euro
-Pour tous les petits déjeuners, les déjeuners, les goûters et les dîners que je t’ai préparés : 0 euro
Au total, cela fait 0 euro.
Une fois terminé, la maman, avec son sourire, a rendu la feuille à son fils, en attente. Il la lut… et comprit. Ses yeux se sont mouillés. Il a tourné la feuille et, en bas de son addition, il a ajouté : payé.
Mes chers, voilà la miséricorde dans la force de sa simplicité d’action.
Elle donne, sans se soucier d’être payée ou pas en retour.
Et j’ajouterais : elle est véritablement miséricordieuse alors même qu’elle sait n’être jamais remboursée.
En forme de cadeau pour ce beau dimanche, je vous offre une citation d’Olivier de Kersauson, célèbre navigateur, chroniqueur et écrivain français, par laquelle il explique comment comprendre la miséricorde et la manière de l’appliquer :
La miséricorde est un principe général de conduite à l’usage de ceux qui ne veulent pas abdiquer devant la lâcheté, le doute et la bêtise.
La miséricorde permet à l’homme flétri de reverdir.
Ma miséricorde est un engrais dont je fais grand usage.(4)
1 Jorge Luis BORGES, le fragment d’un évangile apocryphe, Éloge de l’ombre (1969)
2 Cfr.,
https://observador.pt/2020/04/02/ramalho-eanes-nos-os-velhos-se-for-necessario-oferecemos-o-nosso-ventilador-ao-homem-
que-tem-mulheres-e-filhos/
3 Cfr., https://www.les-crises.fr/les-ravages-du-covid-19-dans-les-ehpad-colere-et-denuement/
4 Ocean’s Song (2008)