Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon
Écoutant certains prédicateurs, peut-on penser que la vocation du prêtre
soit d’égayer l’assistance, non de la sauver 4 dimanche de Pâques, année B
Le 22 avril 2018
Lectures :
Act 4,8-12 : Pierre, rempli de l’Esprit Saint, déclara : Chefs du peuple…
1 Jn 3,1-2 : … ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
J 10,11-18 : Moi, je suis le bon pasteur…
A peine deux semaines après son élection, le pape François successeur de Benoit XVI, lors de sa première messe chrismale célébrée dans la magnifique et toujours impressionnante basilique st Pierre à Rome, abordait le même sujet que l’Évangile d’aujourd’hui. Il le faisait bien sûr à sa façon, traitant pourtant de près l’essentiel du sujet.
Ainsi, aux cardinaux, patriarches, évêques et prêtres réunis autour de lui lors de cette messe particulière où le ministère sacerdotal, exercé par tout évêque et tout prêtre, est le point central de la liturgie, le pape lançait l’appel suivant :
Soyez des pasteurs avec « l’odeur de leurs brebis », que celle-ci se sente !
C’est-à-dire soyez « au milieu de leur propre troupeau », qui rejoignent les hommes dans « leur vie quotidienne » et jusqu’aux « périphéries » de leur existence.[1]
Si vous vous en souvenez, vous savez que les médias et de nombreux prédicateurs se sont emparés de cette expression du pape pour la décliner et la relayer ensuite dans leurs articles et enseignements multiples.
Je pense que nous avons tous compris que le berger – le pasteur – qui se tient éloigné de ses ouailles, de sa bergerie, est un pasteur qui faut gravement sa mission.
Comment peut-on vraiment exercer une fonction, un métier, une vocation, si l’on reste coupé des gens pour lesquels on est envoyé ?
C’est impossible !
Le bon berger se doit, par définition, d’être proche, à l’écoute, attentif et prêt à se mettre au service.
Le Christ va jusqu’à dire que pour être bon berger – le vrai – il faut être prêt à donner sa vie pour ses brebis. Si la générosité du berger ne va pas jusque-là, le berger n’est qu’un mercenaire.
Ainsi, le niveau est placé haut…
Personnellement, je ne vois pas comment nous pourrions l’abaisser sans amputer – défigurer donc – l’enseignement de notre Seigneur Jésus Christ sur ce sujet.
Je suis conscient que des chrétiens – ô combien de fois !!! – s’accommodent tant bien que mal des exigences de l’Évangile, les bricolant et les rafistolant à leur guise. Cependant, c’est loin d’être une solution valable.
Certes, on peut toujours mentir devant les autres pour sauver les apparences, mais se mentir à soi-même et Dieu parait aussitôt complètement immature.
Il me vient à l’esprit une situation que j’ai vécue il y a un peu plus d’une semaine à Rome. Comme vous le savez, je m’y trouvais avec des collégiens des aumôneries paroissiales. Un soir, l’une des animatrices d’aumôneries, poussée par l’instinct maternel – sa fille étant aussi avec nous – descend d’un étage, pour rejoindre sa chambre. Il était déjà bien tard.
Elle frappe à la porte… Un instant du silence… La porte s’entrouvre.
La tête de sa fille sort…
- Ah, c’est Toi, Maman ?
- Oui, c’est moi. Tout va bien ?
- Bien sûr que oui. Nous étions sur le point de nous coucher….
Ah, bien… – a répondu l’animatrice en question, mais flairant tout de même quelque chose dans l’air ambiant, elle pénètre dans la chambre de sa fille et de son amie.
Au hasard, elle regarde tout de même sous leurs lits… et y découvre deux beaux garçons serrés comme des sardines…
Les filles, une fois démasquées, jouent la stupéfaction : que font-ils ici, nous n’en savions rien.
Tu parles !!!
Pauvres filles – a-t-on envie de commenter… et pauvres tous qui n’ont pas le courage d’admettre l’évidence de la vérité que le Christ nous enseigne sans cesse.
Car, soulignons-le, le bon berger, pour qu’il soit vraiment bon, doit être vrai… allant jusqu’au bout de sa mission, qui n’est pas la sienne, mais celle que lui a confiée Jésus Christ.
Pour approfondir encore le sujet, mes frères et sœur bienaimés, je voudrais vous poser une question subsidiaire : est-ce que, vraiment, les communautés de chrétiens désirent avoir toujours de bons et vrais pasteurs – bergers ?
Vous me direz : quelle question, Père, bien sûr que oui !
Afin de bien percevoir le fond du problème, je vais partager avec vous une réflexion, trouvée en préparant cette homélie, dans un blog
Son auteur écrivait :
le style de François est imagé et remuant. Et exigeant, surtout avec les plus proches de lui, ses cardinaux, prêtres et baptisés.
Eh quoi ? Devrions-nous en être surpris ? « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage » (Luc 12,48).
Sommes-nous si faibles, si fragiles qu’il faille absolument nous parler gentiment, nous brosser dans le sens du poil ?
C’est exactement ce que François refusait dans ce discours du 17 juin 2013 :
« il est plus facile de rester à la maison, avec cette unique brebis ! Cela est plus facile de rester avec cette brebis, la peigner, la caresser… ».
Sur les bancs de nos églises, combien sommes-nous à nous auto-satisfaire d’être des gens de biens, puisque nous sommes à la messe tous les dimanches ? Et combien sommes-nous à ne pas trop aimer que le prêtre nous secoue, dans son homélie ? On aimerait qu’il nous peigne, qu’il nous caresse dans le sens du poil. Pourtant, nous sommes à peine des justes ! N’avons-nous aucune conscience de nos imperfections, de nos faiblesses ?
N’avons-nous aucune ardeur ?! Combien de temps allons-nous rester dans nos églises, entre nous, à compter les chaises et les crânes grisonnants ? A rechercher la meilleure organisation paroissiale possible ? Le meilleur maillage? « Le berger qui s’enferme n’est pas un véritable pasteur, mais un « peigneur » qui passe son temps à faire des frisettes au lieu d’aller chercher de nouvelles brebis ». [2]
Ne trouvez-vous pas qu’il y ait quelque chose de vrai ?
Sans doute existe-t-il des prêtres-peigneurs qui passent leur temps à faire des frisettes, mais combien de fois les préfère-t-on !
On préfère un prêtre sympathique, cool, qui laisse faire et vivre le train-train de la catholicité tranquille à un prêtre qui exige, qui demande, qui pousse à se mettre en mouvement.
Car nous n’aimons pas le changement !
Les recettes pastorales qui fonctionnaient il y a 30 ou 50 ans font pour nous toujours référence, même si elles n’apportent plus rien.
Pourquoi changer si nous même nous trouvons parfaits ?
Tant pis si nos communautés s’étriquent, vieillissent, s’immobilisent, pourvu que notre confort et nos habitudes ne soient pas touchés.
Si le Christ est bon et vrai berger, c’est parce qu’il est opposé à tous ceux qui veulent enfermer Dieu dans les schémas et dans l’immobilisme.
Dieu est vivant. Le Christ est la Vie, donc pour que l’Église – Vigne perdure et porte du fruit, il faut que la sève circule en elle, l’alimente, l’irrigue, la régénère.
Ainsi le berger doit-il avoir un cœur sensible, être proche de ses brebis, et n’ait pas peur de se salir, de s’empuantir à leur contact. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il leur ressemble !
Il se donne à elles, certes, mais il ne doit pas être comme elles.
Il vit dans le monde, mais il n’est pas du monde.[3]
Le Christ était ami de ses disciples. Il leur parlait avec affection, il les appelait « bienaimés », mais, en revanche, il n’était pas comme eux. Il se tenait à part. Il restait leur maître, leur exemple, leur point de repère.
Il ne craignait pas de se pencher sur eux avec sollicitude lorsque le péché et les faiblesses humaines les submergeaient, mais jamais le Christ ne s’abaissait!
Ici, nous touchons du doigt le drame dont parfois nous sommes les témoins inertes et passifs. Par-ci- par-là un évêque, un prêtre n’osent plus rien changer ou prendre parti, au moins sur les sujets importants. Sous prétexte d’éviter les clivages, ils abondent dans le sens des gens, leur disant ce qu’ils souhaitent entendre… les caressant justement, comme nous l’avons entendu, dans le sens du poil…
Que voilà un bel exemple d’Église en voie de disparition !!!
Mes chers frères et sœurs bienaimés, croyez-vous que l’Évangile soit lisse ?
Bien au contraire : il est vivant et efficace, plus tranchant qu’une épée quelconque à deux tranchants, pénétrant jusqu’à partager âme et esprit, jointures et moelles.[4]
Et pourtant, combien de fois, l’oublions-nous ???
Un écrivain, prêtre comme moi, a remarqué malicieusement : Ecoutant certains prédicateurs, peut-on penser que la vocation du prêtre soit d’égayer l’assistance, non de la sauver.[5]
Un autre prêtre, mon collègue, m’a amèrement avoué : Przemek, je me sens parfois comme un animateur de club-Med. Les gens n’attendent plus rien de moi sinon que j’administre un baptême, que je célèbre leur mariage, une messe… Ils n’ont besoin que d’un service. C’est tout. La foi, la sainteté, le salut, cela ne les intéresse guère !
Mes frères et sœurs bienaimés,
Quels prêtres, quels bergers attendons-nous ?
Pour quels prêtres, pour quels pasteurs prions-nous ?
Bien sûr… nous voudrions qu’ils soient bons !
Néanmoins, en ce dimanche des vocations ou dimanche du Bon Pasteur, comme vous préférez, que nous commémorons aujourd’hui, réfléchissons-nous vraiment au sens que nous donnons aux mots « bon » et « vrai » ?
Parce que de cela dépendra quels prêtres nous aurons : des prêtres qui ne feront jamais de vagues, gentils sans doute, mais pourtant sans relief et sans feu divin, ou des prêtres parfois peu commodes, dérangeants, de véritables « poils à gratter », qui, cependant, ne resteront jamais indifférents et ne dormiront jamais tranquillement, sachant qu’une seule personne – une seule brebis – puisse s’égarer et passer à côté de son salut.
[1] Cfr., https://fr.zenit.org/articles/pretres-soyez-des-pasteurs-qui-portent-l-odeur-des-brebis; Pape François, Homélie du Jeudi Saint, 28 mars 2013
[2] http://www.koztoujours.fr/le-pape-francois-a-une-odeur-de-brebis
[3] J 17, 14-18
[4] Cfr., Hbr 4,12
[5] Cfr., Janusz Pasierb, Skrzyzowanie drog (Dziennik 80-85), Pallotinum, Poznan1989, p.16