Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et st Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon
Trait d’union
Assomption le 15 août 2018, à St Jean des Vignes
Lectures :
Ap 11,19a ; 12,1-6a.10ab : …une femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds…
1 Cor 15,20-27a : Le Christ est ressuscité d’entre les morts pour être parmi les morts le premier ressuscité.
Lc 1,39-56 : Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne.
Il y a environ 3 semaines, j’ai pu faire une fois de plus ma retraite spirituelle d’été. Et ceux qui l’avaient compris savaient que je l’ai suivie dans un monastère de Cracovie en Pologne, chez les Pères Camaldules.
L’origine de cet ordre, peu connu en France, remonte au tout début du XI siècle, au moment où l’Église avait besoin de véritables réformes, s’étant trop compromise avec le monde politique. Quant à la vie monastique telle qu’elle existait à la fin du premier millénaire, elle était jugée « relâchée ».
Alors, un certain bénédictin italien, Romuald, aspirant au retour à la liberté spirituelle du monachisme se retira du monde entouré de quelques disciples.
Il fonda ainsi un monastère d’un type nouveau où la vie commune alliant travail et célébration liturgique commune se conjuguait avec la vie solitaire érémitique. Parmi les lieux de création de ces nouveaux monastères, il y eut la Toscane – au lieudit Camaldoli – donnant ainsi son nom à l’ordre entier des Camaldules.
Parmi l’ensemble de leur monastère à Cracovie, se tient une grande et belle église, présentant deux styles architectoniques. La construction extérieure est Renaissance et l’intérieur baroque, mariage bien plaisant et réussi.
L’église est placée sous le vocable de l’Assomption de la Sainte Vierge Marie, ce qui n’est pas un évènement en soi. Certaines branches de l’ordre Bénédictin comme les Cisterciens et les Trappistes, ont placé eux aussi leurs églises sous la tutelle de Celle en train de s’élever au ciel.
C’est tout un symbole : la vie de moine doit être orientée dans la même direction. Vers le haut ! L’Assomption de Marie en montre donc l’exemple.
Dans le chœur de l’église des Pères camaldules, un grand tableau de 4 mètres sur 3 environ représente bien évidement l’Assomption.
C’est une représentation plutôt courante :
La Sainte Vierge Marie se tient au-dessus des têtes des personnages témoins de l’évènement. Marie est entourée de nuages desquels émergent des angelots baroques, rondelets et joufflus. Quelques uns, plus grands, peut-être des chérubins – que sais-je – la portent, semble-t-il, vers le ciel entrouvert…. duquel une lumière vive transparaît. On a presque l’impression d’entendre de la musique céleste, des chœurs d’anges et de saints, chantant :
Viens, bienaimée pleine de grâce, dans la maison du Père.
Tu y es attendue !!!
Le centre du tableau est beaucoup moins lumineux. Le bas, particulièrement, est presque dans la pénombre, comme si le peintre ne voulait pas y attirer l’œil de l’observateur. Ce qui importe, pour lui, c’est l’Assomption – la gloire salvatrice !
Cependant, je voudrais m’arrêter surtout sur cette partie obscure dudit tableau, car les personnages représentés ont suscité mon intérêt.
Je les constate en deux factions bien distinctes :
La première est composée de personnes déjà tournées vers le mystère du salut,
leurs visages regardant Marie empreints du rayonnement céleste.
Sans doute ont-ils compris que la sainte Vierge, et, à sa suite, chaque homme peut être admis au ciel. Que le paradis n’est plus un vœu pieux ou un concept indéfini, mais la REALITE !
Ainsi, les yeux fixés au ciel, ils paraissent complétement détachés de tout ce qui les entoure.
La deuxième partie des personnages est à l’opposé des précédents : ces sont des gens tournés vers la civière vide de Mairie qui se trouve en leur centre, recouverte d’un drap blanc posé en désordre. Ceux-là ne comprennent pas du tout ce qui s’est passé…
Ils assistent pourtant à l’Assomption de Marie au ciel. Elle est à peine au-dessus de leurs têtes, mais eux, ils ne voient rien !
L’un palpe le lit, l’autre a un regard stupéfait, encore un autre se tourne pour raconter l’évènement advenu à celui de derrière qui en est bouche bée.
Le mystère de l’Assomption reste pour eux nébuleux…, incompréhensible. Physiquement, ils sont là, au milieu d’une action fabuleuse qui se déroule dans le cadre même de leur vie.
Pourtant, étrangement aveugles, accaparés par des choses matérielles et secondaires, ils ne la saisissent point.
Mes frères et sœurs bienaimés, côtoyant pendant 10 jours ce tableau que je viens de vous décrire dans ses grandes lignes, il m’a fait penser à nous, croyants en Dieu…, à notre foi en Lui…, à notre façon de la vivre.
Ne pensez-vous pas que, nous aussi, sommes scindés en deux parties ?
D’un côté nous pouvons trouver parmi nous des gens fascinés par le ciel.
Ils peuvent nous en parler aisément, sans gêne. Leur vie quotidienne est axée sur les faits religieux. Ils participent aux différentes retraites, aux weekends spi, aux doctes conférences, aux cours de la Bible…. Ils possèdent généralement un savoir livresque phénoménal….
Ils sont forcément engagés quelque part : dans une paroisse, une communauté, un groupe de prière ou de travail…. Bref, bel exemple de chrétiens à suivre !
Pourtant, pourtant…. ils ne séduisent pas tant que ça !
On les considère comme un peu trop illuminés, irréalistes ou mieux, naïfs, rêveurs incapables de s’adapter au quotidien terrestre beaucoup plus prosaïque que les extases spirituelles.
Leurs laisser aller et leur mépris face aux affaires banales de la vie déplait, leur manie de mettre Dieu à toutes les sauces rebute.
En notre for intérieur, nous savons que ces gens-là ont choisi la meilleure part et que leur vie est bien orientée. N’est-il pas vrai que l’homme devrait voir en Dieu son avenir et par conséquent bâtir son présent avec LUI ?
Mais justement, ce qui manque chez eux, malgré qu’ils soient spirituellement motivés et théologiquement formés, c’est l’application concrète de la foi en la vie.
Et eux, semblent-ils, planent au-dessus…
Bon sang : l’homme n’a pas des ailes – nous disons- nous ! – par contre, il possède des pieds !
Et ici j’en arrive à la deuxième catégorie de chrétiens, que j’appellerais volontiers : positivistes.
Ils sont comme ces personnages du bas du tableau, témoins de l’Assomption mais le regard et l’attention figés sur le matériel. Tout ce qui compte pour eux, ce sont des faits tangibles, palpables, donc dignes de confiance.
Le ciel ? La prière ? Le temps passé devant le Saint Sacrement ? Les mystères ?
Ils ne sont pas contre, mais ils pensent néanmoins que la foi devrait évincer les pensées trop abstraites au profit d’actes concrets, puisque ce sont eux qui font vraiment avancer le monde.
Par conséquent, tout ceux qui pensent ainsi gardent la tête froide et évitent les discours trop ésotériques, jugés impraticables.
J’espère, mes frères et sœur bienaimés, que vous avez bien saisi le tableau et les deux catégories des gens qui s’y trouvent : idéalistes et réalistes à outrance.
La distance qui les sépare parait importante et les deux factions irréconciliables…. sauf… sauf… si nous nous servons de trait d’union.
Vous savez de quoi je parle, n’est-ce pas ?
C’est cette ponctuation qui associe les mots : pause-café, demi-sœur chassé-croisé, belle-mère, vas-y…
Ce signe typographique, appelé aussi tiret-court, unit les mots afin d’exprimer une modification engendrant une nouvelle qualité linguistique.
Si je vous en parle aujourd’hui, c’est pour vous faire comprendre que nous, disciples du Christ, nous devrions, dans notre quotidien, nous inspirer du trait d’union. Son emploi syntaxique devrait devenir nôtre : unir, associer, relier, mettre ensemble, côte à côte.
Et, le plus importent : réconcilier ce qui parait séparé à jamais.
Prenons, mes frères, trois ou quatre exemples : nord-sud, gréco-romain, douce-amère, chaud-froid.
Ces mots séparés sont complètement à l’opposé. Irréconciliables !
En revanche, par le trait d’union, ils deviennent une nouvelle réalité. Ils ne font plus qu’un !
Et c’est ce que nous, disciples du Christ précisément devons être et ce que nous devons faire !
Nous devons nous placer au milieu des combats, des séparations, des antagonismes pour unir et, par la force de l’Esprit Saint, réconcilier ce qui est divisé.
Nous ne devrons être ni de gauche, ni de droite, ni d’en haut, ni d’en bas…
A l’instar du trait d’union, nous ne devrons pas prendre parti pour un camp ou pour un autre, mais créer des conditions de communion, permettant aux deux camps adverses de se rencontrer …. en Christ.
Je m’explique…
Peut-être avez-vous pu observer la grande croix d’un calvaire breton ou celle qui pointe au sommet d’une montagne ?
N’avez-vous pas remarqué que la croix du Christ est, la première, le grand trait d’union entre la terre et le ciel ?
Si vous ne comprenez pas encore…, je vous propose d’imaginer qu’une croixde 5 mètres de haut se trouve plantée au sol , ici, à votre gauche ?
Que verriez-vous ?
Exactement ce que j’essaye de vous expliquer : la jonction entre la terre et le ciel. La croix sert d’intermédiaire !
Grace à elle, ce qui est déchiré par l’orgueil et tenu à distance à cause du péché, par le sacrifice de notre Seigneur, de nouveau, se rapproche, se rencontre, s’embrasse…
Le Christ n’a pas hésité à placer sa croix parmi les mêlées humaines…
Nous, ses disciples, non plus ne fuyons pas les combats. Ne nous créons jamais un monde parallèle, un monde à nous-seuls. Le communautarisme est une idée complètement erronée pour nous catholiques. Parce que nous sommes appelés à faire communion, à réconcilier, à devenir de réels traits d’union humains.
C’est un rôle important, même indispensable pour notre société disloquée et de plus en plus désunie par la montée des individualismes exacerbés.
Je conçois que, parfois, nous pouvons être déçus par ce monde qui néglige notre noble mission… et ignore nos efforts…
Je vous dirai donc, mes frères et sœur bienaimés, une chose fondamentale :
la croix du Christ était aussi un petit rien par rapport à l’empire romain. Le martyre de notre Seigneur Jésus Christ, pour le pouvoir en place, était un non-événement, une atroce mais banale exécution de plus…
Et pourtant, avec le temps, ce non – événement a métamorphosé toute la société donnant la naissance à une nouvelle civilisation judéo-chrétienne.
Le trait d’union, quant à lui, n’est aussi qu’une petite barre horizontale et pourtant, une fois appliqué, il fonde une composition originale. Il inverse la signification des mots.
Quant à nous, catholiques, nous sommes aussi parfois jugés sans importance.
Mais cela ne signifie aucunement que nous soyons insignifiants.
Nous pouvons bouleverser la donne, faire mentir les pronostics les plus pessimistes…. Nous sommes capables de donner un nouveau sens à ce monde qui parait marcher à contresens.
Vous connaissez le cas de Marie, cette jeune fille ordinaire vivant dans un pays sans importance, issue d’une culture et d’un peuple considérés à l’époque comme un petit rien ?
Et pourtant, c’est Elle qui a changé le cours de l’histoire…
Elle a amenuisé la distance entre la terre et le ciel grâce à l’ouverture de son cœur et son sein au Verbe Incarné.
Mes frères et sœurs bienaimés,
N’oublions pas que ce que nous jugeons modeste et faible, s’il est associé à un Fiat – Amen, que ta volonté se fasse, Dieu est capable de le transformer en assomption…, en monde nouveau, en l’Éternité !