Lectures :
Gn 9,8-15 : voici, que moi, j’établis mon alliance avec vous…
1 P 3,18-22 : être baptisé […] c’est s’engager envers Dieu avec une conscience droite.
Mc 1,12-15 : Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche…
Mes frères et sœurs bienaimés,
rien d’étonnant à ce qu’au début du Carême, nous retrouvions le Christ qui, une fois baptisé, part au désert y passer 40 jours. C’est d’ailleurs en souvenir de ce fait que le Carême a cette durée et s’associe à la prière et au jeûne.
Néanmoins, d’autres éléments devraient quand même nous interpeller :Pourquoi le Christ est-il parti ?
Pourquoi a-t-il retardé ainsi sa mission ?
Comme vous le savez, l’attente de la venue du Messie chez le peuple juif était prégnante. Depuis des siècles, ce peuple attendait sa libération : son pays n’existait plus, le joug des Romains broyait sa fierté, la foi en Yahvé s’étiolait, le désespoir gagnait du terrain, d’où l’émergence de ces différentes factions socio-politiques allant des Zélotes qui veulent régler le problème au poignard avec les Saducéens, sortes d’aristocrates qui se fondent au régime et essayent de tirer leur épingle du jeu.
A tout cela, il faut ajouter une foule de malheureux, sans droits, déshérités, qui n’avaient plus grand-chose à espérer, sinon subir la situation et rester confiants en la promesse que Dieu leur avait faite d’envoyer un Sauveur.
Bref, l’urgence de faire revivre l’espoir était grande à l’époque du Christ et les prédications enflammées de Jean le Baptiste exacerbaient l’impatience du peuple juif.
Cependant, il semble que le Christ traînait des pieds, ayant vécu 30 ans à Nazareth tranquillement, loin des affaires courantes, pourrions-nous dire. Et à présent, malgré qu’il ait été désigné clairement par le baptême et consacré par la voix venant du ciel qu’il est le Messie, Jésus de Nazareth n’apparaissait pas très pressé.
Il n’est pas vif à retrousser ses manches. Il ne se met pas en route pour sillonner villes et campagnes. Bien au contraire, il se retire au désert.
Mes frères et sœurs bienaimés, les nécessités, les urgences, les « qui-vive » sont communes à toutes les époques.
Invariablement, il reste des choses à accomplir, des affaires à régler : c’est sans fin !
Regardez vous-même votre vie : à peine avez-vous solutionné un problème qu’un autre survient. Vous avez colmaté un trou, un autre apparaît !
C’est constant ! c’est la vie…
Ainsi, nous sommes tiraillés sans cesse entre ce qui urge et ce qui peut attendre.
Cela est d’autant plus vrai à notre époque qui nous fournit des outils fabuleux permettant de nous déplacer rapidement et de nous connecter à l’autre bout du monde en temps réel.
Jeudi dernier, nous avons été témoins de l’atterrissage d’un nouveau robot de la NASA sur la planète Mars. Vous rendez vous compte de l’exploit ?
Presque 500 millions de kilomètres parcouru!
Réjouissons-nous de l’intelligence que Dieu a donnée à l’homme ; mais force nous est de constater que tous les moyens que l’homme a inventés pour faciliter sa vie, entre autres, étonnement, ne lui ont pas dégagé plus de temps.
L’impression commune est que nous bénéficions de moins en moins de temps, que l’homme contemporain est pressé, stressé, fatigué, épuisé par la course vaine à laquelle il prend part sans forcément le vouloir.
Il court, bien souvent sans savoir pourquoi.
Le rythme de sa vie s’accélère et il ne sait pas en trouver la raison.
Il suffit de faire une petite enquête autour de nous pour réaliser que les gens ne savent pas répondre à quelques questions jadis basiques :
Pourquoi vivent-ils ?
Le travail, est-ce une corvée ou une mission ?
Enfin, que signifie être heureux ?
Je suis toujours suffoqué par la faiblesse des réponses, leur banalité face à ces questions primordiales, basées sur le matérialisme, du genre :
- Je vis pour mes enfants…
- je travaille pour gagner ma vie…
- Etre heureux, c’est l’absence de souci…
Certes, tous les avis sont bons à prendre mais je pense que vous êtes d’accord : ça ne va pas chercher bien loin.
Quant au départ du Christ pour le désert, il s’inscrit dans la recherche de sens profond.
Le Christ prend son temps pour mieux réaliser ensuite son action évangélisatrice.
Je dirais même que le Christ s’accorde un temps de retraite afin de poser les jalons de sa future mission. Et celle-ci n’est pas des moindres, puisque le salut du monde en dépend.
Pour nous qui avons tendance à avoir la bougeotte, les 40 jours passés à l’isolement pourraient être considérés comme une sérieuse perte de temps.
Mais pour le Christ, c’est ainsi qu’on le gagne.
Quand les choses ont été préparées, pensés, repensées, confiées à l’Esprit Saint, une fois mises à exécution, elles coulent de source.
Chacun de nous peut puiser dans ses propres expériences pour constater que les projets bien mûris atteignent, a priori, plus facilement les buts fixés et sont moins gourmands en énergie que ceux lancés sans un plan préalable.
Et même s’ils se soldent par des résultats positifs, ils auront demandé beaucoup plus d’engagements et généré bien plus de stress que ceux mûrement préparés à l’avance.
Mes chers amis hospitaliers de Lourdes, je vous suis très reconnaissant
d’être ici parmi nous dans cette église en ce premier dimanche de Carême : c’est le signe de votre maturité.
Toutefois vous auriez-pu vous dire :
Cette année, peut être comme l’an précédent, nous n’organisons pas de pèlerinage donc, cela n’est pas la peine de célébrer quoi que ce soit…
On attendra plutôt que la situation épidémiologique se clarifie.
Votre présence ici témoigne cependant que vous êtes en quête du sens réel… de votre mission. Vous êtes conscients de n’être pas seulement des petites mains et des bras forts pour transporter les malades de leur lieu d’habitation jusqu’au sanctuaire de ND de Lourdes. Vous êtes surtout avec eux en qualité de témoins de la charité chrétienne qui voit en chaque malade une personne.
Et vous savez bien que votre présence auprès des malades n’est pas seulement physique mais surtout spirituelle.
Le Pape François nous met souvent en garde contre cette tendance qui considère l’Eglise comme une simple organisation humanitaire, éducative et sociale.
Il disait donc : l’Eglise n’est qu’une ONG si elle ne professe pas Jésus.[1]
Ainsi, le saint Père fait écho aux paroles de Sainte Mère Térésa qui proférait déjà, s’adressant à ses sœurs, que l’objectif des religieuses à Calcutta n’est pas de supprimer la misère mais d’apporter aux plus pauvres le soulagement d’une présence aimante. Parce que la plus grande pauvreté est de ne pas être aimé.
Lorsqu’il est sorti du désert, notre Seigneur le savait déjà mais, après ce temps de prière et de jeûne, il a pu l’affirmer plus encore. Ainsi, terminant son séjour au désert, il est parti pour la Galilée avec une pensée très nette :
Les temps sont accomplis. Le règne de Dieu est tout proche.
Convertissez-vous et croyez à l’Evangile.
Ainsi soit-il
Père Przemek KREZEL, curé +
[1] Daté : le 14 mars 2013 lors de sa première messe en tant que pape