Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse st Pierre et t Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon
L’homme qui veut servir Dieu doit découvrir qu’en vérité,
c’est Dieu qui le sert
Homélie du jeudi saint : la Sainte Cène
Année C, le 18 avril 2019
Lectures :
Ex 12,1-8.11-14 : Je traverserai le pays d’Egypte, cette nuit-là : je frapperai tout premier-né…
1 Co 11,23-26 : Ceci est mon corps, qui est pour vous…
Jn 13,1-15 : Il les aima jusqu’au bout
Mes frères et sœurs bien aimés, avec la liturgie de la Sainte Cène, débute la célébration du Triduum pascal qui s’achèvera samedi prochain dans la nuit, lorsque l’Exultet sera solennellement chanté, annonçant haut et fort que les forces des ténèbres sont vaincues par la lumière du Christ Ressuscité.
Mais ce soir, nous n’en sommes encore pas là.
Le mystère de la mort et de la résurrection s’ouvre à peine à nous.
Nous y entrons avec un cœur palpitant qui n’est pas dupe : il connait la gravité du moment. En tant que chrétiens pratiquants, nous connaissons quand même l’histoire : ce n’est pas le premier triduum pascal que nous vivons.
Chaque année donc nous effectuons un pas en avant dans la connaissance de Dieu, de l’homme et de nous-mêmes dans les situations de tentation, de combat spirituel, de foi….
Cette année, mon homélie s’appuie sur la scénographie du reposoir.
Elle a été imaginée et mise en place par nos Sœurs Dominicaines, je leur en sais gré…
Dans peu de temps, chacun de nous s’arrêtera devant lui quelques minutes pour prier. Certains y reviendront encore passer un bout de nuit avec le Christ, priant lui-aussi avant sa passion.
Alors cela vaut la peine que vous connaissiez les idées symboliquement représentées par tel objet, par telle mise en scène…
Vous y apercevrez à la fois unité et diversité de pensée…, l’étoffe blanche fait la jonction entre tous les éléments essentiels.
Elle part de la bassine se trouvant au pied de la table.
Vous l’aurez compris…
Cette bassine en cuivre fait mémoire au lavement des pieds des apôtres par le Christ : c’est un geste fort qui précède la messe.
Souvent, nous venons à l’Eucharistie avec le sentiment que c’est nous-même qui donnons, qui accomplissons quelque chose de bon par une pieuse action, du simple fait d’offrir à Dieu une heure de notre précieuse journée durant la semaine…
Évidemment, cela est en partie vrai : nous aussi offrons quelque chose au Christ car l’Eucharistie est une œuvre commune, à la fois son sacrifice et le nôtre.
Mais, en réalité, c’est surtout le Christ qui offre, c’est Lui qui convie, c’est Lui qui est le maître de la maison, c’est à sa table que nous sommes invités [1].
Ce n’est pas nous qui Lui faisons l’honneur de venir…
C’est Lui qui nous honore de son appel.
Sa générosité commence dès le début, par un geste d’esclave.
Ainsi, au Cénacle, le Christ renverse l’ordre social établi depuis des siècles : le maître lave les pieds de ses disciples.
Ce renversement des rôles provoque la réaction de Simon Pierre, gêné sans aucun doute… et nous pouvons le comprendre [2].
Néanmoins, nous devons en tirer la leçon suivante : l’homme qui veut servir Dieu doit découvrir qu’en vérité, c’est Dieu qui le sert [3].
C’est plutôt Dieu… l’humble…,
C’est Dieu… le généreux…,
C’est Dieu… le serviteur à jamais.
Dieu est Eucharistie, de toute éternité.
La Sainte Messe n’est pas un simple rituel codifié au fil des siècles et validée par un dicastère du Vatican et le Pape. Elle est la synthèse même de la spiritualité de Dieu dans sa vie intra-trinitaire.
Par conséquent, l’Eucharistie est non seulement un remède provisoire pour les croyants mais elle est le style de vie de la Sainte Trinité.
Dieu est généreux.
Dieu est celui qui sert.
Dieu est celui qui exige beaucoup plus de lui-même que de nous.
Souvenez-vous du sacrifice d’Abraham. Dieu a épargné son fils… pas le sien !
Cependant, en vérité : quelle image nous faisons-nous de Dieu ?
Le Christ a dit : Qui me voit, voit aussi mon Père. (Jn, 12,45)
Notre image de Dieu représente-t-elle le Christ avec un bassin et une serviette à la main ?
Combien de fois nous imaginons-nous que Dieu ressemble à un souverain ou un dirigeant omnipotent rédigeant des règles et veillant à ce qu’elles soient appliquées à la lettre…, à tel point que l’homme en a peur de respirer [4].
L’Eucharistie est un repas entre amis, non le tribunal de Nuremberg.
L’Eucharistie est un face à face, un côte à côte avec Dieu le Serviteur.
Le centre de l’Eucharistie, c’est Lui !
Mais sa présence n’écrase pas : elle relève.
L’Eucharistie est un lieu où je peux m’approcher de Dieu en toute confiance, même si je suis le pire des criminels.
Souvenez-vous de Judas : il est à table, lui aussi.
Ses pensées sont ailleurs. Peut-être dans sa tête compte-t-il déjà l’argent qu’il percevra après avoir trahi son maître.
En attendant, il n’est pas exclu de la Sainte Cène.
Jésus le Christ s’abaisse même devant lui… encore une chance, encore la main tendue, encore une conversion proposée.
Dieu ne se lasse pas de chercher sa brebis égarée : hélas, celle-ci ne veut pas revenir. Dans le cas de Judas, son choix est définitif.
Mais il y avait une autre brebis perdue : Simon Pierre, encore lui !
Nous le voyons à genoux, en train de prier.
Il a déjà réalisé sa faute. Il est revenu sur ses pas.
Au cours de cette nuit, il priera comme nous devant le Christ Eucharistie, regrettant amèrement sa trahison.
Le coq en est témoin.
Regardez-le, surtout son ombre sur le pilier : elle apparaît plus grande que l’animal lui-même… Tout un symbole !
Lorsque nous disons un mensonge, lorsque nous trahissons, souvent, nous minimalisons ces actions : Rien de grave – nous disons-nous dans le fond…
Ainsi, une gentille dame qui se confesse régulièrement se justifie systématiquement par : je dis des mensonges, mais, mon Père, ce sont de petits mensonges.
Simon Pierre n’en a pas dit une tonne non plus. Il a tout simplement affirmé : « je ne connais pas cet homme ».
Il voulait seulement ne pas s’exposer à la foule avide de sang.
Je pense que plus d’un parmi nous pourrait le comprendre.
Et nous, ne suivons-nous pas souvent les opinions majoritaires et ne nous fondons-nous pas dans la masse des gens qui pensent pareil ?
Alors, souvent, nous concluons que notre mensonge, notre trahison, notre parole blessante, ce n’est rien de grave…
Cependant, combien de fois leurs effets sont-ils plus nocifs qu’on aurait pu l’imaginer !
En l’occurrence, Simon Pierre a vendu son ami, son maître, son Dieu.
Heureusement, il a compris qu’il n’existe pas de telle trahison que Dieu ne puisse pardonner. Il a compris que le péché le plus odieux qu’il soit n’a aucune chance face à la miséricorde de Dieu.
Ainsi est-il sorti de la cour de la maison du grand prêtre, de ce lieu où il avait commis le mal…
Mes frères bienaimés, pour se convertir véritablement et durablement, il est indispensable de rompre avec le passé…, de quitter les mauvais lieux et la mauvaise compagnie…
Pierre l’a fait…, une fois dehors, il s’est mis à pleurer.
Il a été pardonné….
Et comme je vous l’ai déjà dit, il est en train de prier.
Mes frères et sœurs bien aimés, après avoir célébré la Sainte Cène, nous transférerons en procession le Christ Eucharistie – présent dans du pain consacré – au reposoir.
Le temps de veiller, de prier commencera alors.
Les jeunes couples de notre Paroisse qui animent cette messe continueront de chanter en ce début de veillée…
Je les en remercie !
A ce moment-là, j’aimerais que, tous, nous comprenions qu’à l’Eucharistie nous pouvons associer de multiples significations : communion, service, repas entre les siens, nourriture spirituelle, sacrifice, offrande…
Chacun de ces mots décrit seulement une partie de ce que l’Eucharistie est réellement.
Néanmoins, je voudrais me référer au pape Saint Jean Paul II qui a lui aussi beaucoup réfléchi dans sa dernière encyclique aux différentes dimensions de l’Eucharistie. En conclusion, il a estimé que la plus importante de toutes est celle-ci : l’Eucharistie est une présence.
Le Christ est présent… [5]
Approchons-nous donc de Lui…
Amen
[1]Cfr., Biskup Grzegorz RYS, Mandatum – to czyncie na moja pamiatke, wyd.ESPE, Krakow 2013, p.24-25
[2] Idem : cfr., 32-33
[3] Idem : cfr., p.34
[4] Idem : cfr., p.36-37
[5] L’Église vit de l’Eucharistie (Ecclesia de Eucharistia vivit) du 17 avril 2003