Lectures :
1 P 2,11-19 : Soyez soumis à toute institution humaine…
Jn 16,16-22 : Un peu de temps, et vous ne me verrez plus.
Saint Pierre apôtre a placé ses auditeurs devant un sacré défi en les exhortant : soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur.
Face à cette recommandation, le Chrétien n’a pas beaucoup de marge de manœuvre, semble-t-il.
D’ailleurs, il est plutôt vrai que nous, Chrétiens, ne sommes pas des rebelles dans l’âme. Nous aimons l’ordre, nous respectons l’autorité, nous soutenons l’entente, nous chérissons les traditions et les bonnes mœurs.
Les révolutionnaires qui veulent renverser le monde pour en fonder un autre qui marcherait à l’inverse nous font horreur.
Peut-être notre conservatisme qui, en soi, n’est pas quelque chose de méprisable, nous vaut parfois des commentaires pas forcément flatteurs.
Jacques Duquesne, journaliste et écrivain français représentant plutôt l’aile progressiste des réformes du Concile Vatican II en cite une à laquelle il faut malheureusement parfois donner raison :
…. l’Eglise, comme disait un psychanalyste, est une « société de connivence ».
On y préfère les chuchotements à l’affrontement, le demi-mot à la clarté.
Tout le monde s’en plaint, les évêques parce qu’ils sont mal informés, les prêtres parce qu’ils n’osent pas dire la vérité à leur évêque ou se croient obligés de s’excuser quand ils le font. Tout le monde s’en plaint, mais on continue.[1]
Est-ce que l’aversion presque viscérale à contester est due au texte de Saint Pierre, je l’ignore, mais il est évident que, dans notre culture générale, nous tâchons d’éviter les conflits, ce qui empêche hélas de crever l’abcès à temps.
Néanmoins, l’histoire de l’Eglise montre qu’il y a des moments où les Chrétiens abandonnent leur calme, dressent des barricades et s’opposent au pouvoir en place.
Jeanne d’Arc, les guerres de Vendée et la Chouannerie, les Cristeros mexicains, le mouvement syndicaliste polonais Solidarnosc, la Manif pour tous et tous les mouvements Pro Live attestent que les Chrétiens ne sont pas de gentils toutous-peluche du pouvoir, se contentant d’un bol de croquettes et de sortie en laisse deux fois par jour.
Alors, comment réconcilier ce que nous conseillent les écrits des apôtres et les oppositions au pouvoir en place parfois même militaires ?
Il n’y a qu’une seule solution pourtant simplissime : lire le Nouveau Testament dans son intégralité.
Ainsi, la réponse à notre question se trouve dans le texte même de St Pierre que je viens de lire.
Laissons donc parler le premier pape:
C’est la volonté de Dieu qu’en faisant le bien,
vous fermiez la bouche à l’ignorance des insensés. Agissez en homme libre.
Tout Chrétien réalise d’abord la volonté de Dieu et vise le bien. Et si les gens au pouvoir font de même, les Chrétiens les suivent spontanément, avec enthousiasme.
La conception du bien commun n’est-elle pas élaborée par les penseurs et les théologiens catholiques ? Et la laïcité – ne la confondons pas avec la laïcisation – ne trouve-t-elle pas ses origines même dans les paroles du Christ ?
Et encore, la conception de la subsidiarité qu’on trouve déjà dans les écritures d’Aristote n’a-t-elle pas eu un dialogue très fécond avec la théologie de l’Alliance fondée sur l’enseignement des Pères de l’Eglise ? Le Pape Léon XIII, dans son encyclique sociale Rerum novarum n’a fait que la formaliser afin de contrer les abus de la révolution industrielle.
Nous voyons donc que les Chrétiens sont actifs et motivés pour bâtir un monde plus juste qui est aussi le leur et qui leur offre de belles occasions de se sanctifier.
Le pouvoir en place ne les gêne donc pas, bien au contraire, ils le soutiennent partout où le bien est visé, la justice préservée et la foi respectée.
En revanche, là où le pouvoir abuse de son statut, tente d’asservir l’homme et abaisse sa dignité, les Chrétiens ne peuvent plus être d’accord. Il est tout naturel qu’ils affirment leur liberté car ils ne sont plus des esclaves mais des hommes libres.
Déjà, St Ambroise, alors que nous sommes au IVème siècle, disait :
il n’est pas digne de l’empereur de refuser la liberté d’expression, il n’est pas digne d’un prêtre de devoir dissimuler son opinion.
Mais ce qui concerne les prêtres concerne tout baptisé.
Georges Bernanos rebondit également dans ce sens lorsqu’il écrit un jour :
L’obéissance servile causera notre perte.
Ainsi, mes frères et sœurs bien aimés : l’obéissance, c’est « d’accord », mais la servitude, c’est non, non et non.
Et pour ceux qui reprochent parfois aux Chrétiens de faire de la politique et disent que cela n’est pas du tout leur rôle, je répondrais par une citation de Saint Jean Paul II tirée de ses échanges avec des journalistes qui lui reprochaient justement de faire de la politique [2]:
Je ne suis pas l’évangéliste de la démocratie, – disait le Pape – je suis le prédicateur de l’Evangile ! C’est du message de l’Evangile que relèvent naturellement les droits de l’homme. Et si démocratie veut dire droits de l’homme, celle-ci relève également du message de l’Eglise. (aux journalistes, sur le vol Montevideo-Santiago du Chili, 1 avril 1987)
Et encore :
Je ne fais pas de politique, l’Eglise ne fait pas de politique, elle proclame l’Evangile. Et si défendre les droits de l’homme, c’est faire de la politique, et alors ? (à Jean Offredo, 1986)
Père Przemek KREZEL, curé +
[1] Jacques Duquesne, Demain, une Eglise sans prêtres?, Ed.Bernard Grasset, Paris, 1968, p.138
[2] In : Dominique CHIVOT, Jean Paul II par Jean Paul II, Mame/Plon, p.87