Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches
Mercredi des cendres, année A
Le 26 février 2020
Lectures :
Jl 2,12-18 : Revenez à moi de tout votre cœur…
2 Cor 5,20-6,2 : Laissez-vous réconcilier avec Dieu
Mt 6,1-6. 16-18 : L’aumône, la prière et le jeûne comme Dieu les aime
Les dernières informations sur le coronavirus estiment le nombre de morts à environ déjà 3000 mille, principalement en Chine, et à 80 mille le nombre de gens contaminés dans le monde entier.
Jusque-là, le virus frappe bien loin de chez nous, malgré deux personnes déjà décédées sur le territoire français.
Néanmoins, le récent cas de l’Italie montre bien qu’il n’y pas de véritables frontières pour ce virus qui peut se manifester en tout lieu et à tout moment.
Par conséquent, des mesures de précaution et de quarantaine s’imposent.
En Lombardie, à l’instar de la Chine où beaucoup plus de monde est concerné, 11 villes et villages viennent d’être confinés. Tout rassemblement est interdit par les autorités publiques. Les masques de protection disparaissent des magasins, qui commencent à manquer également d’autres produits car les gens, cédant à la panique, s’approvisionnent beaucoup plus que nécessaire.
Même quelques évêques italiens ont décidé de fermer les églises dans la zone confinée, pour éviter que les gens ne se croisent…
Et presque personne ne trouve cette mesure étonnante, voire aberrante.
Certains pensent qu’elle est sage et prévoyante…, malgré l’évidence que les humains, à présent, ont bien plus besoin de soutien, de foi, de confiance en Dieu, Maître de toute chose.
Malgré cela, l’Eglise, donc l’institution divine – le Corps Mystique du Christ – a fermé ses portes, suspendant la célébration des messes à Hongkong, en certaines villes de Lombardie, de Vénétie, des diocèses de Padoue et Vicence, car elle a peur de devenir des lieux de contamination !
Imaginez, mes frères et sœurs bien aimés, que notre Seigneur le Christ, passant, dans les villes et sur les routes de Palestine au contact des lépreux et des pestiférés, se dise :
Il faut vite que je rentre chez moi, à Nazareth, que j’achète des victuailles et que je m’enferme à la maison… en attendant que les malades se portent mieux.
J’espère que les Romains et leurs médecins feront leur devoir !
Malheureusement, cette décision de suspendre les messes et de fermer les églises s’inscrit dans l’actuelle compréhension appauvrie de ce qu’est vraiment l’Eglise.
Elle est de plus en plus considérée comme une institution purement humaine, une forme d’organisation de la société, une ONG qui fait la charité en répondant à certains besoins de l’homme.
Cependant, la Sainte Messe n’est-elle pas l’œuvre du salut par excellence ?
Par lesdites décisions on voit que des chrétiens, des prêtres… et même les évêques en question, sous-entendu ne croient plus au pouvoir de guérison du Christ, pourtant leur Maître !
Ainsi, le coronavirus a essaimé les inquiétudes et levé de nombreuses voix alarmistes, malgré les statistiques qui démontrent que la grippe, au cours d’une année, tue plus de gens, comme d’ailleurs les crises cardiaques, le tabac, les accidents de la route…
Alors, pourquoi donc un tel remue-ménage à ce sujet dans les médias si les victimes d’autres événements et maladies sont plus nombreux et cela depuis toujours ?
Parce qu’on s’est habitués à ces derniers.
Ils sont devenus ordinaires, …, leur drame nous touche moins, tout simplement.
Qui se scandalise qu’au seul Nigeria, l’an passé seulement, 1350 chrétiens ont été assassinés par différents groupes de militants islamistes ? [1]
Si le coronavirus suscite un fort intérêt et bénéfice d’une large couverture médiatique, c’est à grâce à sa nouveauté. Il profite donc de l’effet de mode…
Comme il est un événement récent et inattendu, il n’est pas encore suffisamment connu par les scientifiques, donc il attire leur attention et augmente les fantasmes et les craintes de ceux qui n’y connaissent rien.
Je ne minimalise pas pour autant la dangerosité du virus et de l’éventuelle pandémie, j’essaye simplement de rétablir leurs justes proportions.
En même temps, le coronavirus m’offre un bon prétexte – un exemple concret – qui me permet de parler du carême.
Alors, une fois de plus, nous allons le vivre.
Comme l’année précédente, comme celle d’avant, comme depuis celles de notre enfance…
Et qu’est-ce qui a changé en nous ?
J’espère bien, pour certains…, mais est-ce que, par hasard, les carêmes déjà vécus ne se sont-ils pas déjà réduits à quelques pratiques extérieures comme un euro de plus dans la quête ou une ration de viande moindre dans l’assiette ?
Et notre for intérieur est tel une écurie d’Augias – vous vous souvenez de celles qu’Hercule, dans le cadre de ses douze travaux, devait nettoyer en un seul jour malgré qu’elles aient été dans un état de saleté répugnante tant le fumier s’y était accumulé…
Alors, l’écurie de notre cœur a-t-elle été révisée de fond en comble lors des carêmes que nous avons déjà vécus ou bien, au contraire est-elle restée intacte…, y entassant encore plus de fumier ?
Charles Baudelaire, en toute connaissance de cause, avoue dans l’un de ses poèmes :
La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, occupent nos esprits et travaillent nos corps, […]
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches. […]
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas.
Eh oui, nos repentances sont lâches, nos résolutions sont éphémères, notre volonté avachie…
Aujourd’hui, ce matin, j’ai reçu deux visites… des mendiants, bénéficiaires de la RMA et autres aides publiques…, qui viennent régulièrement chez moi, disons… une fois toutes les 5-6 semaines.
Dans leur vie… ils ne travaillent jamais longtemps… car ils trouvent toujours des gens, des situations et circonstances qui les empêchent de le faire…
Alors, ils viennent, ils s’assoient, je leur paie un café, je leur donne quelque chose à manger, un billet à la sortie… sachant bien que leur histoire est fausse ou presque, que leurs propos sont contradictoires…
Ils veulent toujours faire croire à leur bonne volonté… Ils m’assurent chercher du travail qui leur permettrait de sortir de cette situation d’indigence…
Je sais que c’est un mensonge…
Je les connais depuis 8 ou 9 ans, ils tiennent toujours à peu près le même discours :
Je voulais, je veux, je voudrais…
Je les regarde avec commisération… car ils me font penser à tous ces chrétiens enthousiastes qui paraissent motivés mais seulement, hélas, en paroles…
Nous rêvons donc d’un monde meilleur, mais nous ne faisons rien ou presque pour que nous, chacun de nous, devienne demain un peu meilleur qu’aujourd’hui, et après-demain, un peu meilleur que demain…
Mes frères et sœurs bien aimés,
Ne prenez pas ce que je viens de dire pour une leçon de morale ou des reproches…
Je le dis aussi pour moi…, car ne suis-je pas prêtre pour vous et chrétien avec vous ?
Alors, ce que je viens de prêcher me concerne également.
Cependant, si je vous le dis, c’est pour que chacun prenne conscience : le carême est un véritable temps de grâce à condition de prendre nos penchants mauvais à bras-le-corps.
Il est nécessaire que le carême nous coûte…
Qu’il nous mette, nomen omen, en quarantaine, afin que nous retrouvions, sous l’œil soucieux de notre Père céleste et tenus par la main par le Divin médecin, Jésus, la santé de l’âme, l’équilibre entre l’être et l’avoir, entre les envies et les nécessités…
Que nous nous libérions enfin de nos péchés-virus qui nous atteignent au plus profond de l’âme.
C’est le moment !
Amen
[1] Cité auprès : https://www.lepoint.fr/monde/les-chretiens-sont-de-plus-en-plus-persecutes-dans-le-monde, publié le 15-01-2020
[2] Charles Baudelaire, le poème Au lecteur, in : les Fleurs du mal, Librairie Générale Française, 1972 (dans la série Le livre de poche n° 677), p.3