Quelques hommes aux grands dons sauveront le monde pour les siècles à venir [1] 12ème dimanche ordinaire, année A, le 21 juin 2020

Publié le Publié dans Homélies


Lectures :

Jr 20,10-13 : Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là…

Rm 5,12-15 : …combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandu en abondance sur la multitude…

Mt 10,26-33 : Ne craignez pas les hommes.


Une fois, je ne me souviens plus du lieu exact, nous avons fait une expérience sur l’influence du groupe sur l’individu.

L’expérience était toute simple :

Réunies dans une classe, une dizaine de personnes avaient été bien informées de l’expérience menée, seulement, à chaque essai, l’une d’entre elles n’était pas au courant.

Alors, sur le tableau, on traçait à la craie 15 petites barres. Aux participants,
on ne donnait qu’une feuille de papier sur laquelle chacun devait écrire le nombre de barres qu’il voyait.

Ceux qui étaient au courant de l’expérience avaient reçu la consigne d’écrire sur la feuille toujours le chiffre 20, c’est-à-dire 5 de plus que la réalité.
La feuille, une fois arrivée auprès des personnes testées qui n’avaient reçu aucune consigne – donc ne connaissaient pas le but du test -, ne contenait donc que les réponses faussement majorées : 20, 20, 20…

Et savez-vous quelle réponse donnaient la plupart des personnes testées malgré l’évidence de ce qu’ils voyaient ?

Ils écrivaient : 20, eux aussi.

Alors, on demandait à ces personnes pourquoi elles avaient écrit 20 alors qu’elles savaient compter et qu’elles avaient bien vu qu’il n’y avait que 15 petites lignes.

Leurs réponses allaient systématiquement dans le même sens, qui était à peu près celles-ci : 
en voyant que tous ceux qui précédaient avaient écrit 20, on a perdu confiance en notre propre comptage, et par conséquent on préférait s’aligner à la réponse la plus plébiscitée.

Frères et sœurs bien aimés, le souhait d’être aimé, accepté, dorloté par tous
ou au moins par la majorité dominante n’est pas nouveau.

L’homme a besoin d’être une personne considérée. 

Ce sentiment l’envahit dès qu’il se sent ainsi, lorsque les autres lui disent :
« tu es un des nôtres, tu appartiens à notre groupe ».


             Peut-être vous souvenez vous de votre enfance, lorsque votre plus grande hantise était de ne pas appartenir à un groupe, d’être seul, écarté des jeux et de l’amitié ?

Combien d’entre nous ont été prêts à faire tout et n’importe quoi pour que le groupe auquel nous aspirions nous acclame et nous dise :
pas mal, viens avec nous, tu seras notre copain.

           Les années ont passé, le temps de l’école est bien loin et à présent,
nous sommes des adultes, pères, mères de familles, nous occupons des postes de travail plus ou moins importants et pourtant, la quête de reconnaissance nous poursuit toujours.

Nous sommes comme des éternels gamins qui, malgré leur âge avancé, en sont toujours désireux.

Par conséquent, combien de fois, nous ne nous opposons pas au courant dominant ou nous fuyons les sujets sensibles…

Nous écarquillons des yeux stupéfaits lorsque certains se montrent trop radicaux, et nous disent des vérités évidentes et que nous répondons :

Ah bon, je n’en savais rien, je n’ai rien vu venir.

Comme c’est le cas tout récemment pour le maire de Dijon : il gouverne cette ville depuis des années, et pourtant il se dit sidéré face aux dernières émeutes qui l’ont secouée et remuent la France entière.

          Il y a à peine quelques semaines, j’ai confessé une personne qui,
en toute simplicité, m’a avoué que, durant le confinement, lorsqu’elle avait
au téléphone plusieurs membres de sa famille ou de ses proches, elle n’osait jamais affirmer son point de vue ou contredire la position de l’autre. Elle s’est laissée aller pour ne pas gâcher l’ambiance ou prendre le risque
de se fâcher avec quelqu’un.

Gustave le Bon, fondateur de la psychologie sociale, célèbre pour sa Psychologie des foules (1895), en étudiant le comportement de l’individu et du groupe a remarqué cruellement :

la plupart des hommes sont incapables de se former une opinion personnelle
mais le groupe social auquel ils appartiennent leur en fournit de toutes faites.[2]

Personnellement, je n’irai pas si loin.

Moi, je crois en l’homme sauvé par le Christ.

Je suis donc convaincu qu’il a les capacités de raisonner, de voir clair, de prévoir et de tirer les conséquences qui s’imposent. Donc, s’il n’agit pas dans ce sens, c’est plutôt la preuve que ce n’est pas sa tête qui ne marche pas mais sa volonté.


L’homme contemporain, et cela s’accentue avec le temps, n’a plus de volonté. Il est ramolli… et les causes de cet état sont multiples.

J’en pointerai une que je pense importante et dont parle Michel Onfray
dans l’un de ses derniers livres : Théorie de la dictature. (p. 199)

Il y aborde le sujet de la littérature dite « de jeunesse » qui part du principe
que le livre n’est pas un instrument pour devenir adulte et accéder à leur mode intellectuel, spirituel et culturel mais une occasion de propagande, de catéchisme postmoderne – initiation à la beauté sociétale des familles recomposées, des couples homosexuels, du triage des déchets, de la sauvegarde de la planète, de la procréation médicalement assistée, du réchauffement de la planète, de la consommation écoresponsable, de la nourriture bio et non carnée, des vertus des énergies renouvelables, des voitures électriques, même si elles fonctionnent à l’énergie nucléaire… il s’agit
– écrit Onfray – de fabriquer des adultes vides et plats, creux et stériles, compatibles avec le projet posthumain.[3]

Mes frères et sœurs bien aimés,

Si je me suis permis de parler aussi longtemps de l’aplatissement de l’individu face à la masse, à la pensée dominante, à la mode du moment, c’est pour le mettre en confrontation avec la Bible qui décrit l’histoire du salut, qui n’est pas finie puisqu’elle continue et continuera jusqu’à la fin des temps.

Alors, si vous prenez la Bible, vous constaterez qu’elle est peuplée d’histoires de personnages exceptionnels.

Certes, la Bible raconte l’histoire du peuple juif mais cette histoire se construit autour d’individus d’envergure. Des individus qui n’avaient pas peur de s’opposer aux foules, aux rois, aux armées et la plupart du temps seuls contre tous.
Lisez la vie de Noé, Abraham, Joseph, Moïse, Job, Jonas, Elie… enfin, du prophète Jérémy dont parlait la première lecture.

Poursuivi par les foules en furie – car il ne prophétisait pas comme il le fallait selon eux, c’est-à-dire qu’il ne disait pas ce que les foules voulaient entendre, le prophète reste en paix car il sait bien que le Seigneur est avec lui, tel un guerrier redoutable.


Vous comprenez, mes frères et sœurs bien aimés, Jérémy ne recule pas devant les menaces et l’impopularité : il ne se sent pas seul. Il sait que le Seigneur scrute l’homme juste, sonde les reins et les cœurs, c’est-à-dire qu’il connaît l’homme jusqu’au tréfonds de son être.

Jérémy n’a donc pas peur, prêchant la vérité, même si elle n’est pas la bienvenue pour la majorité. Il remet sa cause entre les mains du Seigneur, le juge suprême.
Ainsi, Jérémy et tant d’autres héros de l’Ancien Testament anticipent déjà
ce que le Christ a dit à ses apôtres : ne craignez pas les hommes, ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme.

Mes frères et sœurs bien aimés, je pense que la crainte de s’opposer aux biens pensants est bâtie souvent sur un manque de confiance en nous. Nous nous sentons faibles, sans arguments, sans grade vis-à-vis du monde qui se vante et se croit roi, parce que nous ne nous considérons guère…, nous ne nous aimons plus…

Face aux soi-disant élites, nous nous sentons marginalisés, minoritaires, complexés…

Cependant, le Christ dit à ses disciples le contraire. Il leur atteste qu’ils valent beaucoup  à ses yeux … à tel point que même les cheveux de leur tête sont tous comptés.
Sommes-nous prêts à entendre cela ?

Que Dieu s’occupe de nous et ne nous laisse jamais tomber car pour lui nous valons bien plus que les animaux du monde entier ?

La preuve majeure de confiance en ses disciples, donc en nous, est que notre divin maitre, Jésus, nous confie une mission importante : ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits.

Vous vous rendez compte ?

Le Christ – le Messie, souhaite que chacun de ses disciples devienne
son porte-parole !

Songez-y.      
 


[1] John Henry Cardinal Newman, Le Mystère de l’Eglise, de M.K.Strolz et les collaborateurs du Centre des Amis de Newman, Téqui, 1983, p.125

[2] De Gustave Le Bon, Aphorismes du temps présent, cité auprès  de : http://evene.lefigaro.fr/citation

[3] Michel ONFRAY, Théorie de la dictature, éd. Robert Laffont, Paris 2019, p.199